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Bonjour! Mon blogue s’intitule La fin des milliardaires et l’introduction à ce récit, composé de 23 chroniques illustrées, se situe plus bas. D’autres ouvrages sont aussi disponibles et on accède aux différentes publications à partir des liens dans la rubrique Déjà parues du menu en haut de page : la nouvelle série Amour et crépuscule, les 11 parties du MAPES Monde et les 9 volets du Vaisseau dort. Une présentation sommaire de chacune des séries de chroniques est disponible dans la rubrique À propos.

LA FIN DES MILLIARDAIRES : INTRODUCTION

Les discussions avec mon voisin Réal sont toujours passionnantes! C’est un réalisateur, récemment retraité d’une grande télé nationale. Il a fait métier avec son art de raconter et je ne donne pas ma place non plus, ayant longtemps enseigné au secondaire des sujets comme la consommation responsable, l’environnement, l’introduction à la philosophie et à la psychologie, etc.

Ce dont il m’a parlé aujourd’hui m’a fortement interpellé : une équipe des médias de chez nous s’apprête à mettre sur pied une grande aventure multiplateforme (télé, web, radio et presse écrite) qui pourrait durer assez longtemps et faire pas mal jaser. Juste le titre : La fin des milliardaires, ça m’a accroché tout de suite! Il paraît que l’émission, appelons-là comme ça, pourrait même voir le jour presque simultanément dans plusieurs pays.

Affiche produite en 1911 par l’organisation syndicale américaine Industrial workers of the world.

Ces informations concernant le projet proviennent de Béatrice, une jeune réalisatrice très dynamique qui travaille pour son ancien employeur. Il l’a vu monter dans l’échelle de la boîte et se faire rapidement un nom tant à cause de son efficacité que de son authenticité et de sa force de caractère. La description qu’en a faite Réal me rappelle une ancienne élève qui s’était démarquée à mes yeux, lors de l’une de mes dernières années d’enseignement. Une élève très vive et indépendante d’esprit en plus d’être attentive, enjouée et respectée de tous.

Toujours est-il que cette Béatrice serait l’instigatrice de ce projet auquel bien peu de gens croyaient à priori. On la disait utopiste (comme tous ceux qui démarrent de grands projets novateurs!) et un peu mégalomane. Réal se souvient très bien des discussions de corridor, alors qu’ils travaillaient tous deux ensemble. Le projet était alors embryonnaire, mais il suscitait déjà de vifs débats : était-ce réaliste, éthique? Le monde était-il mûr pour une telle aventure? Quelles avenues permettraient de présenter adéquatement le sujet? Et comment unifier une perspective qui pourrait dépasser les frontières habituelles?…

De toute façon, pour Réal, toutes les idées de Béatrice ont cette saveur un peu surréaliste comme si elles venaient d’un autre temps. Et, dans les faits, les idées de Béatrice viennent bel et bien d’un autre temps puisqu’elle est de la génération des « Y » et que Réal est de celle des « baby-boomers ». Cela fait tout de même deux générations de différence, car entre les deux il y a celle des « X », dont on a beaucoup moins entendu parler, et… dont je suis! 

Quel est donc ce projet qui fait l’objet de tant d’émoi? L’« angle » comme ils disent dans leur métier de communication, et le mégapari que l’équipe fait ici, c’est qu’au fil d’une couverture et d’un traitement tout autant pertinent que divertissant, les milliardaires actuels devraient disparaître graduellement, mais sûrement! L’émission vise donc — vraiment — La fin des milliardaires. C’est culotté tout de même! Il ne s’agit pas de mettre fin à la vie des personnes milliardaires évidemment, mais plutôt de transformer le monde pour qu’il n’y ait plus cette possibilité d’accumuler de telles fortunes colossales. J’ai vite compris que ce projet en est un de longue durée et de grande ampleur, à la hauteur de ses objectifs!

En ces temps où les inégalités de richesse se creusent continuellement et de façon spectaculaire, il y a de quoi être intrigué. En janvier 2017, Oxfam sortait les résultats d’une enquête qui mettait en évidence cet écart toujours grandissant entre les plus riches et les plus pauvres. On y apprenait que les huit milliardaires les plus riches possédaient plus que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Huit milliardaires qui possèdent plus que 3,5 milliards de personnes! C’est fou, non?…

Avarice. Pieter Bruegel l’Ancien, 1558.

L’émission aurait comme ambition primordiale d’éliminer l’envie d’être milliardaire chez tous ceux et celles qui ne le sont pas actuellement. C’est lorsque Réal m’a parlé de cette visée particulière que j’ai commencé à prendre au sérieux cette idée et à m’y intéresser de plus près.

En effet, il ne suffit pas d’éliminer les milliardaires actuels pour qu’il n’y en ait plus jamais. Je l’ai vérifié à maintes reprises dans mes classes où une large majorité des élèves souriaient largement à l’idée de remplacer Bill Gates! Qu’on leur fasse une petite place et ils seraient volontiers les prochains dieux du monde, souvent pour leur unique satisfaction et parfois avec une certaine dimension altruiste. Dans presque tous les cas, ils s’entendaient pour dire : « Il est où le problème, ils l’ont bien mérité, ils ont travaillé pour leur argent! ». Je poursuivais alors en demandant : « Et les milliards d’autres travailleurs, ils ne le méritent pas? » Et là on était parti pour de riches (!) discussions, mais une constante m’étonnait toujours : c’était vraiment très dur pour la majorité d’entre eux de faire le deuil d’un tel rêve et ce, même en réalisant que les chances de l’atteindre voisinaient celles de gagner le gros lot!

Alors, que l’émission de Béatrice cible aussi « l’envie de devenir milliardaire » me parait particulièrement pertinent, si l’on souhaite la fin des monstrueux écarts de richesse. Voyant mon attention attisée et mon appétit vorace d’informations supplémentaires, Réal m’a offert d’utiliser son contact avec Béatrice pour m’alimenter à ce propos. C’est à la suite de cette première discussion avec lui que je commence à écrire ce que j’apprends sur ce projet et à rédiger les questionnements et commentaires qui émergent dans la même foulée.

Du rêve et de la réalité

Mon regard se pose sur la scène hivernale, au-dehors. La neige tombe gracieusement. Elle compose un tableau qui défile continuellement, semblable à celui qui constituait la matrice, dans le film du même nom. Mais il s’agit ici de la matrice de Mère Nature, bien plus majestueuse que celle formée de chiffres et de symboles!…

Sa Majesté. Photo : Benoît Guérin, 2008.

Mon esprit s’envole dans des évocations fantaisistes qui s’amalgament curieusement aux grandes idées précédemment évoquées. Je retourne à mon clavier pour écrire quelques nouvelles réflexions. Dans mon texte, la fiction côtoie la réalité. On dirait qu’il s’agit d’un mariage d’amour et de raison. Le propos s’établit entre personnes réelles, avec ou sans pseudonyme, et personnages inventés. Le récit s’élabore au milieu d’idées qui me tiennent à cœur et au fil d’événements racontés ou parfois imaginés…

Je suis saisi de nouveau par l’hynoptisante matrice de neige au dehors et j’ai l’impression qu’une autre histoire vient se joindre à celle que je vis. C’est une histoire d’il y a très longtemps, mais elle reflète judicieusement ce qui prend place ici :

[…] « Elle s’était mise à réfléchir (tant bien que mal, car la chaleur du jour l’endormait et la rendait lourde), se demandant si le plaisir de faire une couronne de marguerites valait bien la peine de se lever et de cueillir les fleurs, quand tout à coup un lapin blanc aux yeux roses passa près d’elle.

Il n’y avait rien là de bien étonnant, et Alice ne trouva même pas très-extraordinaire d’entendre parler le Lapin qui se disait : “Ah ! j’arriverai trop tard !” (En y songeant après, il lui sembla bien qu’elle aurait dû s’en étonner, mais sur le moment cela lui avait paru tout naturel.) Cependant, quand le Lapin vint à tirer une montre de son gousset, la regarda, puis se prit à courir de plus belle, Alice sauta sur ses pieds, frappée de cette idée que jamais elle n’avait vu de lapin avec un gousset et une montre. Entraînée par la curiosité elle s’élança sur ses traces à travers le champ, et arriva tout juste à temps pour le voir disparaître dans un large trou au pied d’une haie.

Un instant après, Alice était à la poursuite du Lapin dans le terrier, sans songer comment elle en sortirait. » […]

Extrait du roman de Lewis Carroll : Les aventures d’Alice au pays des merveilles. Traduction Henri Bué, page 2Londres : Édition Macmillan, 1869.  Illustrations Sir John Tenniel.

Je ne me rappelle pas comment j’ai rencontré l’histoire dAlice au pays des merveilles. Sûrement pas à travers le roman lui-même, car je lisais très peu dans ma jeunesse. Mais je sais que j’ai redécouvert cette histoire, comme bien des gens, je présume, à travers les films de Tim Burton. La fantaisie de cette histoire très colorée a traversé le temps sans ambages. Un peu comme Alice traversait d’un monde à l’autre sans difficulté, simplement, en suivant le lapin blanc.

J’ai aussi mordu à belles dents dans la grande fantaisie que constitue la trilogie de films des Wachowski : La matrice. Là encore l’aventure débutait en suivant un lapin blanc

Entre le pays que l’on habite et celui des merveilles, qu’Alice a visité, il y a souvent un monde. Un monde, pourrait-on croire, aussi différent que celui du rêve l’est de la réalité. Je n’en suis pas si sûr pourtant… J’ai l’impression que le monde des rêves et de l’imagination cohabite intimement avec celui de la réalité. La réalité n’est-elle pas constituée de ce que l’on imagine, nous et les autres, instant après instant?…

La vie. Marc Chagall, 1964.

Au-delà des histoires et des films toutefois, dans la vie de tous les jours, on dirait bien que l’on a plus tendance à suivre les éléphants blancs que les lapins excentriques. En particulier, on nourrit encore sans relâche l’éléphant blanc de notre surconsommation généralisée qui, pourtant, ravage la nature et creuse sans cesse les écarts entre une minorité d’humains choyés et la majorité défavorisée. Nous nourrissons aussi assidument l’éléphant blanc de la mondialisation économique où quelques grands acteurs, souvent milliardaires, vivent dans des palaces issus de paradis fiscaux tandis que des millions de personnes travaillent en esclavage moderne dans des usines déshumanisées.

Le plus troublant dans ce portrait de famille, c’est que les rôles semblent interchangeables. L’exploité rêve parfois d’emménager à son tour dans un joli paradis et le pauvre envie fréquemment la surconsommation du voisin. N’est-ce pas là toute l’idée de l’éléphant blanc, dont il semble impossible de se débarrasser, peu importe le point de vue adopté? Incroyable tout de même! Après tout, il n’est sûrement pas plus réel que le lapin blanc, cet éléphant, non?…

Ce récit est celui d’une année de réflexions gravitant autour de ma rencontre avec une personne qui ressemble à Alice, du pays des merveilles. Une fille fonceuse et spontanée avec de grands yeux curieux. Elle suit, de toute évidence, un lapin blanc disparu au fond d’un terrier dont les ramifications me semblent assez familières…

Alice au pays des merveilles. Illustration Dawn Hudson.

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