5. Un dimanche avec Béatrice : économie, solidarité et milliardaires


J’ai hésité avant de rappeler Béatrice, mais j’ai fini par le faire. Réal n’était pas disponible, mais nous avons tout de même pris rendez-vous, elle et moi. J’ai suggéré le même café que la première fois. Oui, je sais, je suis parfois un peu statique ! 😐

C’est dimanche matin, je suis arrivé un peu plus tôt que l’heure fixée pour notre rendez-vous. J’ai choisi une autre table, près d’une fenêtre, mais pas dans le coin comme la dernière fois. Je suis un peu conservateur d’accord, mais pas complètement coincé ! 😊

Voilà Béatrice qui s’amène. Un peu d’avance elle aussi. On se salue cordialement et on se dépose graduellement. On commande des cafés en poursuivant des échanges concernant nos activités respectives des dernières semaines. Puis, nous bifurquons rapidement sur les sujets concernant son projet. On dirait que nous n’avons jamais interrompu la discussion qui a pourtant eu lieu, il y a quelques semaines déjà.

Avant notre rendez-vous, j’avais noté toutes les réflexions qui étaient émergées depuis notre première rencontre et je les livre, une à une. Béatrice prend quelques notes en m’écoutant attentivement. Nous échangeons longuement sur ces idées à propos de possibles présentations en écologie ou concernant la solidarité. Béatrice en profite pour préciser certains éléments connexes qui ont déjà été envisagés ou même élaborés dans son projet.

La participation des organismes favorisant l’écologie ou la solidarité

Après les échanges liés aux idées que je soumets, Béatrice me révèle quelques éléments fondamentaux déjà prévus dans son émission multiplateforme : « Plusieurs organismes agissant pour favoriser la solidarité entre humains ou une saine écologie feront littéralement partie des intervenants réguliers de l’émission. Ils présenteront les divers projets qu’ils soutiennent et en feront un suivi régulier. » 

« Quand on parle de grandes idées pour remplacer la quête de la richesse, me dit-elle, je pense bien que les gens vont se rendre compte qu’il y a plusieurs de ces projets écologiques ou humanitaires qui font vraiment rêver!  Les grands organismes d’aide aux humains ou à l’environnement possèdent déjà des moyens audiovisuels très efficaces allant de films ou documentaires jusqu’aux échanges bien huilés à travers les réseaux sociaux. Ils pourront sans difficulté se glisser directement et en continuité dans la programmation de l’émission. Pour eux, c’est une fenêtre de diffusion exceptionnelle et pour nous, c’est une occasion fabuleuse ! Pas besoin de tout créer, une bonne partie du matériel est déjà pratiquement fonctionnel. »

Béatrice enchaine : « Nous autoriserons les organismes participants à utiliser les plateformes de La fin des milliardaires pour diffuser des campagnes de mobilisation qu’ils veulent mettre en œuvre. Ça va dans le même sens que ce dont je t’ai parlé la dernière fois : nous ne ferons pas que parler, nous agirons ! Évidemment, tout ce qui sera présenté devra d’abord être accepté et orchestré par le comité approprié qui sera dirigé par un de mes trois chroniqueurs-activistes. Par ailleurs, toutes les organisations désireuses de se joindre à notre émission devront accepter de partager l’avant-scène avec beaucoup d’autres organismes semblables. Pas d’exclusivité ! On garde toujours bien en vue la direction globale de notre grand objectif qui est de mettre en branle une humanité unifiée et non pas une multitude de petits ilots qui écartent les autres.»

Des organismes de tous horizons ont déjà été approchés et ils sont très enthousiastes, parait-il. Béatrice me cite en exemple les plus grands acteurs internationaux comme les plus petits organismes locaux qui agissent pour défendre les droits de la personne, soutenir les communautés en difficulté, protéger la biodiversité, promouvoir la paix, favoriser la diminution de la pollution, etc.

Je trouve cette stratégie fort astucieuse et pertinente, car j’ai déjà visionné plusieurs courts documentaires d’organismes humanitaires ou environnementaux qui étaient très touchants et passionnants : à la défense des baleines chassées illégalement, aide à l’établissement d’une petite entreprise de subsistance dans un pays dévasté par un tremblement de terre, effets bénéfiques de la consommation de produits équitables pour un village producteur de chocolat, parrainage de ruches d’abeilles pour aider au rétablissement des populations menacées par les pesticides, etc.

Décidément, plus on descend dans le terrier du lapin et plus le projet de Béatrice me fascine ! Un peu comme le vermeil qui apparait lorsqu’on recouvre d’or le métal d’argent, nouvelle occurrence précieuse et vermeilleuse ! 😊

Occurrence vermeilleuse. Photo : Benoît Guérin, 2017.

Je me prends à croire que peut-être cette flamme qu’on a vu occasionnellement allumée à travers divers mouvements sociaux, ici et là sur la planète, pourrait s’activer de nouveau et, cette fois-ci, à l’échelle d’une humanité unifiée, d’une seule nation ! D’une façon, ça m’apparaît un peu fou, mais d’un autre côté, tout cela me semble tellement évident et… essentiel !

Et quand je regarde Béatrice avec toute sa fougue bien ancrée dans le réel, je me dis : « Et si c’était vrai !… » J’ose croire, dans un mélange d’espoir et de scepticisme, que peut-être le fruit est mûr pour une action plus largement concertée, régulière et porteuse de changements plus substantiels et rapides.

C’est déjà l’heure de dîner. Nous avons échangé avec tellement d’intensité que nos cafés sont à peine entamés ! On se commande un sandwich. Les nuages on pris doucement place dans le ciel et la lumière du jour est calme et paisible. À moins que ça ne soit moi qui soit ainsi, calme et paisible, comme après une bonne journée de travail, lorsque les résultats sont au rendez-vous.

Béatrice me demande : « Tu sais depuis quand on parle de milliardaires sur notre planète? »

Je réfléchis quelques instants : « Depuis les années 80 à peu près, je dirais. C’est à cette époque qu’un grand nombre de dirigeants de pays ont mis en place une économie capitaliste sans limites et sans frontières, je crois.»

« Exactement, dit-elle, depuis la naissance de ce qu’on appelle le néolibéralisme. » Nous échangeons sur cette période de mondialisation économique accompagnée de grands clivages : richesse et pauvreté, pouvoir et aliénation. Béatrice en profite pour me rappeler que dans La fin des milliardaires, le but d’en finir avec la très grande richesse de quelques-uns sera traité main dans la main avec celui d’en finir aussi avec le désir d’une multitude d’humains de devenir très riches. « Plusieurs collaborateurs réguliers seront attitrés à l’émission pour présenter et travailler ce double but fondamental, dit-elle. J’ai déjà approché une économiste et une comptable-fiscaliste. Évidemment, tous deux sont aussi versés dans l’art de communiquer. »

Magnétisante richesse. Photo : Benoît Guérin, 2008.

Collaborations régulières : une économiste et une comptable-fiscaliste

« L’économiste, poursuit Béatrice, se chargera particulièrement de présenter la situation actuelle concernant les écarts de richesse dans le monde et ses effets négatifs tant pour pour l’ensemble des humains qui sont supposés bénéficier des richesses que pour l’économie elle-même : stagnation des capitaux, monopoles, et autres. Elle va nous aider à rendre plus concrets les chiffres démesurés. Par exemple, elle nous précisera que la grande richesse maximale qu’un individu peut posséder dans un contexte de solidarité est d’approximativement 50 millions de dollars. Elle expliquera cela en détail : une richesse personnelle d’autour de 30 millions de dollars placés en banque à 1 % d’intérêt rapporte un revenu annuel de 300 000 dollars qui est nettement au-dessus de la moyenne. Et, à chaque 1 % d’intérêt supplémentaire, le revenu annuel double ! Si on ajoute 20 millions pour ceux qui désirent partir en affaires, cela constitue un avoir nettement au-dessus de ce que la plupart des entrepreneurs possèdent lorsqu’ils démarrent. On se rend vite compte qu’une richesse de 50 millions de dollars mène à une aisance financière digne des contes de fées – pour le commun des mortels ! OK la richesse accumulée, mais pas au point d’en priver les autres ou même le système économique dans lequel on vit. »

« Bien qu’on puisse discuter du seuil de richesse retenu, lui dis-je, cette façon d’envisager ou de présenter les limites de l’enrichissement me semble plus réaliste que de vouloir l’éliminer complètement, à tout le moins, plus réalisable à moyen terme. Et j’imagine que cette économiste pourrait examiner la composition des fonds de placement reliés à nos régimes de retraite et faire ressortir les éléments qui nuisent ou qui aident l’écologie et la solidarité ? Les chroniqueurs-activistes responsables pourraient appuyer ou organiser des pressions directes sur les dirigeants des fonds de placement, ou des mobilisations citoyennes pour faire modifier les éléments problématiques. »

« Bonne idée ! dit Béatrice en s’empressant de prendre quelques notes, il s’agit en effet d’une piste à suivre. »

Elle enchaine en me donnant un aperçu du rôle de l’autre collaboratrice régulière approchée : « Quant à la comptable-fiscaliste, elle nous fera l’état des lieux et des propositions de changement, afin de diminuer les écarts de richesse tant dans les revenus que dans les avoirs : impôts, taxes, paradis fiscaux et autres. Elle fournira par exemple des propositions de nouvelles tables d’imposition avec de plus fortes retenues pour les revenus plus élevés des particuliers et des entreprises et leur effet anticipé sur les revenus de l’État. Elle pourrait aussi suggérer des modèles de taxation plus élevée pour les objets de luxe ou plus polluants. Ces instruments serviront ensuite à organiser des pressions auprès des gens concernés : partis politiques, entreprises ou autres. Ce type d’actions sera piloté par le chroniqueur ou la chroniqueuse-activiste responsable de la solidarité. Parallèlement à tout cela, il y aura un espace de présentation pour inclure régulièrement ce qui ressort des échanges sur les plateformes internet : nouvelles initiatives citoyennes, questionnements récurrents, nouvelles idées d’actions prometteuses, etc. »

Évocation paradisiaque #1. Photo : Benoît Guérin, 2017.

Un collaborateur sociologue : simplicité volontaire

Béatrice fait une courte pause en regardant son cellulaire, et elle poursuit : « Un collaborateur est aussi prévu pour traiter régulièrement de la fin de l’envie de devenir milliardaire ou même très riche. Ce sociologue de formation s’est fait connaitre pour sa façon passionnante et non dogmatique de parler d’un mode de vie tout en simplicité volontaire. Il mettra en évidence les avantages d’une vie où le temps disponible est plus important que les richesses accumulées. Du temps pour mieux vivre les relations importantes pour nous, pour avoir des loisirs agréables et peut-être aussi pour s’occuper des moins favorisés et de la nature… »

Tout cela me rappelle les débuts d’années scolaires où j’avais placé une activité qui s’étendait sur plusieurs cours et où chaque élève précisait par écrit, puis oralement, les activités ou situations qu’il ou elle aimait le plus. Et, devinez quoi, ce sont justement les relations (avec les amis, la famille et autres) qui arrivaient en première place, bien avant le sport ou d’autres loisirs préférés ! Puis on avait des échanges où ressortait régulièrement le trop peu de temps que beaucoup d’adultes avaient pour leurs relations à cause des exigences de leur travail, mais aussi en raison d’une recherche souvent incessante – et volontaire – de revenus supérieurs qui permettaient une plus grande… consommation de biens matériels !

Entre la richesse et l’amour. William Adolphe Bouguereau. 1869.

Béatrice me précise faire des démarches pour dénicher deux autres collaborateurs clés qui devront faire ressortir la situation et les problématiques liées tant à l’écologie qu’à la solidarité humaine à l’échelle de la planète. Puis, au milieu d’une des rares pauses dans cet après-midi d’échanges stimulants, elle relâche un peu sa posture droite et énergique, s’adosse à sa chaise et me dit : « Tu comprends peut-être un peu mieux maintenant pourquoi cette émission, qui me tient tellement à cœur, constitue un projet à assez long terme. J’y travaille activement depuis plus d’un an et j’ai bien l’impression que nous en avons encore pour près de deux ans avant que le projet ne se concrétise… »

« Je pense que ça vaut vraiment la peine de ne pas bousculer le démarrage de ce beau projet, lui dis-je. Tout le travail que tu fais actuellement ressemble à la mise en place de bonnes fondations dans un grand édifice. Une armature solide pour résister aux tempêtes qui sévissent à notre époque ! »

Nous terminons notre rencontre en cette fin de dimanche après-midi en nous fixant un prochain rendez-vous dans deux semaines. Même café, même heure.

Alice au pays des merveilles. Illustration : Sir John Tenniel.

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5 commentaires à propos de “5. Un dimanche avec Béatrice : économie, solidarité et milliardaires”

  1. Le projet de Béatrice est-il utopique ? Je ne sais pas quand il pourra se réaliser en tout ou en partie, mais il est porteur d’espoir pour construire un monde meilleur.
    Connais-tu le groupe AVAAZ qui met de l’avant des moyens pour sauver le monde à leur manière. Je suis abonné à son infolettre depuis deux ans. Ce groupe logé en Europe met aussi de l’avant des actions en faveur de l’écologie et de la solidarité.
    Je t’invite à aller visiter leur site, si cela n’est pas déjà fait.
    Des collaborations peuvent-elles être envisagées ? La mission du groupe est-elle compatible avec celle de lafindesmilliardaires ?

    • Salut François,
      Ce sont là des pistes de réflexion fort intéressantes!
      Je connais et participe (pétitions+) depuis plusieurs années au groupe AVAAZ (ils sont l’un des éléments solidaires de la rubrique « Coups de cœur » du site d’ailleurs!) . En janvier dernier, cet organisme qui compte plus de 50 millions de membres (!) a élargi sa mission de façon intéressante. Voici comment ils formulaient cela dans un courriel d’information: « …former une grande communauté humaine, répandre la vérité de notre connexion et œuvrer à construire le monde qui attend de naître. Un monde nouveau émergeant non pas de la colère et de la peur de l’autre, mais de l’espoir et de l’amour universel. »
      Je dirais qu’AVAAZ rame indubitablement dans le même sens que le projet multimédia de Béatrice (ou tout autre semblable). Je vais réfléchir aux ponts qu’il pourrait être possible d’envisager entre AVAAZ et La fin des milliardaires… Comme il est mentionné au chapitre 5 toutefois, un tel organisme serait probablement invité à faire partie des partenaires réguliers lors de la mise en action d’une telle émission…
      Quant à l’utopie, mon cher François, j’ai vraiment l’impression qu’elle se situe dans la continuité des actuelles façons de faire (surconsommation, néolibéralisme, laisser-aller environnemental, etc.) passablement plus que dans n’importe quels projets ou organisations écologiques et solidaires! 🙂
      Au plaisir et à bientôt

  2. Merci Benoît pour le repérage de Serge Mongeau : le fondateur de la maison d’édition Ecosociété ! Je veux en savoir plus. Il a un vague air de famille avec mon père sur ses vieux jours. Mon père aussi essayait de transmettre des valeurs semblables à ses enfants. Je pense beaucoup à lui en ce moment avec reconnaissance mais aussi tristesse de n’avoir pu lui dire assez à quel point son enseignement était pertinent et précieux.

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