En prenant le métro bondé, ce matin, je pense soudainement à la solidarité dont me parlait Béatrice au café. Il me semble qu’une société plus solidaire dégagerait plus de ressources pour les transports en commun. Cette forme de transport est beaucoup plus économique (et écologique !), en coût par personne, que l’automobile. Une société où chacun veille à l’intérêt des autres devrait donc favoriser largement les transports en commun en les rendant les plus agréables possible. Pas seulement efficace, mais agréable. Pour le moment l’automobile est généralement largement plus confortable et agréable : disponible sur le champ, plus spacieuse, climatisée au besoin, etc.
La solidarité. Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste ? La solidarité s’établit, je crois, à partir d’un constat d’interdépendance fondamental comme dans un écosystème où tous les éléments sont interreliés. Si l’on considère que chacun est lié significativement aux autres, il est naturel et conséquent de vouloir prendre soin des autres comme de soi-même, car ils constituent comme une extension de nous-mêmes. Dans notre contexte de mondialisation économique, c’est on ne peut plus vrai ! Certains font les chandails de presque tous les autres tandis que d’autres cultivent la nourriture des gens à l’autre bout du monde. Les échanges ne connaissent pas de frontières.
Dans cette optique, la solidarité constitue donc l’ensemble des comportements issus de la prise de conscience de notre interdépendance. Négliger quelqu’un, c’est négliger une partie de notre humanité. Si l’humanité est envisagée comme un corps humain où toutes les parties sont liées les unes aux autres, on cherche naturellement à éviter les déséquilibres d’un organe à l’autre ou… d’un individu à l’autre. Autant on ne veut pas d’un cœur qui prendrait toutes les réserves d’oxygène du corps, on ne veut pas non plus d’un humain qui monopolise les richesses nécessaires à la survie des autres !… La solidarité consiste alors à s’assurer que chaque humain bénéficie de ce qui est nécessaire à sa survie ou à mener une bonne vie.
Par analogie, La fin des milliardaires viserait à éliminer les plus grandes disproportions dans l’humanité ou… dans le « corps humain ». Et l’établissement d’une humanité unifiée où dominerait la solidarité, serait l’émergence d’un corps équilibré ou en santé. Évidemment, cette métamorphose ne peut avoir lieu que dans un contexte écologique où la nature reprend du poil de la bête !…
Je regarde par la fenêtre du salon de notre maison et vois passer ma voisine avec son Golden Retriever blond. Elle habite un peu au sud de chez nous, vers le marché. Dans mon quartier les Golden Retriever ont nettement la cote. Il y en a partout ! C’est vrai qu’ils ont tellement l’air gentils ces chiens-là ! 😊 Et avec tous les enfants en bas âge du quartier, c’est particulièrement appréciable.
En pensant aux enfants, je revois cette petite fille bouillante d’énergie qui était présentée dans un reportage à la télé récemment. Elle s’était retrouvée brusquement orpheline suite au décès de ses parents, lors d’un bombardement dans son pays où la guerre sévissait depuis plusieurs années. Elle avait été adoptée par une famille d’ici qui avait déjà trois enfants et ne vivait pas richement, mais dont les parents avaient alors senti – sans ambiguïté – l’importance de venir à la rescousse. Un peu comme si l’un de leurs propres enfants avait été en détresse. Quel élan de générosité sans frontières !
Suite aux grands conflits ou catastrophes, on assiste souvent à d’importantes manifestations de générosité et de solidarité humaine. Si autant de gens sont pourtant laissés pour compte sur la planète, cela doit provenir d’une multitude de drames quotidiens qui ne sont pas reliés à de très gros événements. Je repense à ma rencontre avec Béatrice où elle disait qu’on ne peut remplacer l’envie d’être milliardaire que par une autre envie de grande envergure qui nous comblerait. En tout cas, il semble bien que les événements majeurs aient le don de mobiliser beaucoup plus les gens !…
La rente de retraite
Bien assis dans mon salon, je suis frappé par une autre évidence. Tout ce temps que j’ai maintenant pour réfléchir, observer et écrire, il y a bien peu de gens qui ont cette opportunité ! Je suis favorisé, c’est bien évident. Au moment de réfléchir à la solidarité, cela m’interpelle. J’ai accès depuis peu à une rente de retraite. 45 % d’un salaire d’enseignant, mais… quand même. C’est une rente de retraite et je n’ai que 55 ans. Je peux maintenant faire ce que je trouve le plus important ou ce que j’aime le plus. Je peux cesser de me préoccuper de gagner ma vie. C’est énorme !
Cette pension, que plusieurs jugeraient insuffisante, je la trouve énorme parce que je me compare aux autres. Pas à des gens plus chanceux que moi, mais à tous les autres autour de moi comme ailleurs. Je me compare à cette grande majorité de personnes sur la Terre qui ne bénéficient pas d’une telle rente pour vivre leur dernière tranche de vie. Moi, j’ai eu la chance – je dis bien la chance – de cotiser à quelques régimes de pension compatibles entre eux et menant à des prestations déterminées d’avance ou à un montant de pension régulier et stable (très peu indexé au coût de la vie toutefois !) et ce, jusqu’à ma mort. Je peux me détendre dans la perspective d’un revenu décent garanti jusqu’à la fin de mes jours, quand même !
Dans ma nouvelle situation de vie et depuis mes dernières années d’enseignement en préretraite (autre avantage de vie trop rare !), plusieurs projets m’attirent : écriture (évidemment !), aide humanitaire et environnementale dans des organismes, coaching de vie, implication politique, travail en communication (en particulier à la radio), etc. Curieusement toutefois, à peine arrivé à cette pension, c’est l’urgence de faire tout ce que je peux pour permettre aussi à d’autres (au plus grand nombre d’humains possible) d’avoir accès à un revenu semblable qui prend le dessus et… je n’avais pas vu venir cette situation ! Élan de solidarité ou quelque chose de très semblable…
La société des loisirs… on repassera !
Adossé à mon fauteuil, je reste avec le ressac de cette belle idée de permettre à tous d’avoir accès à une rente de pension décente. Les images me reviennent comme autant de vagues énergisantes et apaisantes à la fois… Un souvenir de mes années d’école secondaire se glisse entre deux vagues et je revois cet enseignant d’un cours d’économie, bien campé au milieu des années ’70. Il nous prévoyait une société des loisirs pour les années à venir. Un monde où l’automatisation allait diminuer grandement le nombre d’heures de travail de la majorité des gens. Il parlait de l’émergence probable, à court terme, de la semaine de 20 heures où chacun devrait aménager beaucoup de loisirs pour combler ses semaines !
Force est de constater que cette société des loisirs n’est jamais venue au monde. Le nombre d’heures de travail est stable ou même augmente, depuis les années ’70. C’est la société des minorités richissimes qui s’est imposée à la place ! Un peu comme si toute la richesse issue des économies liées à l’automatisation (et à la mondialisation économique) s’était engouffrée dans les poches des multinationales et d’une infime minorité de personnes au lieu d’être redistribuée massivement pour diminuer les heures de travail de la majorité.
Dans ce contexte, il est bien légitime de croire que les ressources nécessaires à aménager des conditions de vie meilleures sont disponibles, mais mal réparties. Qu’il s’agisse d’implanter un revenu de retraite décent pour tous ou de diminuer les heures de travail, il me semble au moins permis d’espérer et de travailler en ce sens !…
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Je suis d’accord avec Benoit pour rêver la solidarité en essayant de la mettre en œuvre là où on a les pieds. Pour ma part, depuis le début de ma retraite de la vie active en 2010, je vis la solidarité en offrant mes services bénévoles sur deux conseils d’administration distincts, soir celui du Centre Le Rocher et le conseil sectoriel de l’AREQ Rivière-du-Nord.
J’estime comme toi, François, que vivre le plus solidairement possible c’est fondamental et essentiel. Pour moi, le rêve vient compléter la démarche en traçant des avenues complémentaires qui pourraient accueillir tout le monde en zone de partage et de satisfaction de vivre! 🙂
J’ai lu entendu dernièrement à la radio qu’il y avait le travail et l’emploi. L’emploi c’est le travail rémunéré, on nous en prédit de moins en moins avec la robotisation généralisées, dernière évolution du capitalisme grosse de nouvelles absurdités (selon toutes probabilités) en terme de protection du « tissu social ». Le travail c’est de s’occuper à accomplir quelque chose de sa vie, faire la « vie bonne » pour soi et pour son groupe, sa communauté, humaine et non humaine, en équilibrant tant bien que mal tête, cœur et courage, en vivant toutes ses dimensions, dimensions corporelle et créative y compris. Ce travail, souvent bénévole, notre société en dépend beaucoup plus qu’on ne pense (plusieurs libres à BAnQ là-dessus ;-)). C’est le travail des parents pour élever les enfants par exemple. Il y a sans doute beaucoup plus d’humains qui vivent en marge du système de consommation capitaliste, qui l’aient choisi ou non, que l’on s’imagine. Béatrice devrait ajouter ça à sa production : des portraits d’homme et de femmes qui vivent bien dans cette marge et comment ils font. Pour ma part plusieurs de ces portraits m’habitent et je cherche encore ma recette personnelle.
Je pense que ton idée d’exposer les façons de vivre de personnes souvent considérées comme étant en marge est intéressante et je crois que la diversité a tout avantage à être diffusée largement pour favoriser les changements les plus pertinents possible! 😊
Ceci dit, je pense que dans un système économique capitaliste sain, la « marge » doit être incluse dans le portrait ; comme tout ce qui existe d’ailleurs ! Je dis un capitalisme « sain », car je crois que ça peut exister et je pense même que c’est l’avenue la plus prometteuse pour une éventuelle réforme en profondeur de notre vie sur Terre. Il s’agit là d’une des réflexions que je muris depuis un bon bout et qui s’articule maintenant avec plus de conviction. Je parle ici du capitalisme comme ce système économique où les moyens de production sont majoritairement assumés par le privé (entreprises, organismes, coopératives, etc.). Dans cette définition assez fondamentale du capitalisme, ce système s’oppose au socialisme où les moyens de production sont majoritairement assumés par l’État (les gouvernements).
Un capitalisme sain, le « privé » conserve donc une large part de la mise en œuvre de la production économique. J’entends ici le privé au sens large. Cela inclut aussi les coopératives, les entreprises d’économie solidaire et les organismes à but non lucratif en tous genres.
Je crois que les gouvernements ne doivent utiliser que rarement leurs moyens financiers pour gérer des entreprises. Cela peut tout de même avoir lieu occasionnellement pour générer des profits qu’ils peuvent ensuite utiliser pour s’occuper aider le monde (la nature et [dont !] les humains). Ils doivent aussi occasionnellement, et idéalement temporairement, utiliser ce moyen pour déjouer le manque de concurrence réelle dans un domaine (énergie, télécommunications, etc.).
Je crois que ce n’est pas dans ces bases économiques assez généralisées actuellement que résident les changements importants à apporter. J’estime que c’est dans un rôle de gardien de la solidarité et de l’écologie que réside le rôle principal des états. Ils doivent d’abord opérer un sérieux coup de barre – progressif, mais très significatif – dans la perception des profits et autres richesses qui dépassent la juste part des individus et entreprises : impôts et taxation. À partir des moyens financiers de plus en plus importants qu’ils peuvent ainsi générer, ils doivent organiser un filet social large et sain (ni trop mince, ni trop gras) : santé, éducation, revenu minimum garanti, etc. Cette organisation doit avoir lieu dans leur nation bien sûr, mais aussi s’étendre le plus largement possible sur Terre (dans une perspective naturelle où tout est relié et interdépendant).
Ce rôle de gardien de la solidarité et de l’écologie doit aussi se faire avec une importante dimension de sensibilisation des populations concernant les mesures envisagées et mises en place. Les populations ne sont pas stupides et elles peuvent comprendre et adhérer à des changements plus importants, si elles en comprennent bien la nécessité.
Au plaisir!
J’aime bien la photo d’écureuil que tu as choisi pour ce billet. Savais-tu que les écureuils en ville étaient une création humaine ? On l’a appris cet été par le génial podcast « 99% invisible » https://99percentinvisible.org/episode/uptown-squirrel/ .
Les écureuils ont été introduits en ville pour la première fois en 1847 à Philadelphie, au moment où les humains se cherchaient des compagnons mignons et amusants. Les premiers sont morts parce qu’on ne savais pas les nourrir et qu’il n’y avait pas encore assez d’arbres en ville pour qu’ils puissent se nourrir tous seuls. Avec l’avènement des grands parcs urbains la situation s’est un peu arrangée et la cohabitation continue de nos jours… Maintenant certains New-yorkais défendent leur droit à la ville. Passionnant, non ? Un beau croisement entre le thème de ton billet précédent (l’affinité avec les non humains et le désir de les protéger) et celui-ci : vivre en marge du système capitaliste. L’Ecureuil, beau passager clandestin de nos sociétés urbaines, ;-).
Belle et édifiante histoire, en effet! 😊 J’en profite pour réaffirmer que je crois que la solidarité et l’écologie peuvent prendre place dans un capitalisme sain (pas dans l’actuel néolibéralisme ou capitalisme sans limites). Il s’agit plutôt alors de vivre au sein du système qu’en sa marge! 😊
À+ xoox
Je lis seulement seulement maintenant ton commentaire de réponse. D’accord pour dire qu’il ne faut pas s’arrêter à la marge. Intéressant d’indiquer la dichotomie action de l’Etat – action des individus pour assurer le nécessaire rééquilibrage. Il faut probablement les deux. On peut réduire les inégalités en réduisant les écarts de salaire à la source ou en ponctionnant davantage les plus riches. Pour la protection de la nature, Aldo Leopold avait déjà conclu dès les années 30 que la réglementation des états et leur protection via les parcs ne suffirait pas (surface insuffisante) et que celle-ci passait nécessairement par la propriété privée et donc une conscience accrue, chez les propriétaires. Voir son très remarquable et précurseur petit livre « l’éthique de la terre ».
Merci pour la référence écologique, Pascale.
Quant à la réduction des écarts de revenus, en amont de ceux de richesse, je suis bien d’accord. Ces deux façons de faire nécessiteront d’ailleurs, fort probablement, le même type de sensibilisation-éducation au bienfaits (!) de la solidarité! 🙂
Au plaisir!