Gros titre du journal ce matin : « La planète se dirige vers la catastrophe. » Au lendemain de ma rencontre avec Béatrice, au pays des merveilles, mettons que ça place quelques nuages dans le ciel. Le directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) explique qu’un an après l’Accord de Paris, les efforts des pays signataires sont nettement insuffisants pour espérer demeurer sous le seuil minimal d’augmentation de la température fixé à 2 degrés Celsius. Il nous prévient — une fois de plus ! — que, si la tendance se maintient, nous pavons le chemin d’un avenir misérable à des centaines de millions de personnes. Des centaines de millions de personnes ! ☹
Dans le deuxième cahier, on donne des précisions sur les démarches du puissant pays voisin, dont les élus souhaitent baisser grandement les impôts, tout autant des très riches que des autres. Pareillement, ils veulent baisser l’impôt des entreprises, sans tenir compte de leur taille. Tout cela creusera encore l’écart, déjà gigantesque dans ce pays, entre les plus riches et les moins nantis. Voilà bien quelques — gros nuages — dans le ciel du pays des merveilles ! Il est difficile de garder le cap sur un monde solidaire et écologique dans ces circonstances…
Perspective merveilleuse :
1- Ne pas s’attarder indument dans les difficultés
Au fil de l’écriture de mon manuscrit, j’ai lu le conte d’Alice au pays des merveilles. J’ai découvert qu’Alice se faisait rabrouer régulièrement, et souvent vivement, par la plupart des êtres fantastiques qu’elle rencontrait. Il n’y avait pas que du bonbon dans ses rencontres, bien au contraire. Pourtant, c’est l’aspect merveilleux d’un tel voyage qui ressort de cette histoire. Peut-être parce qu’Alice avait une grande capacité à ne pas accrocher à ces moments difficiles et déplaisants… à les négocier simplement, tout en passant à d’autres aspects, souvent agréables et même fascinants, qui se présentaient dans la même foulée. Elle a, entre autres, négocié aisément avec la reine qui ordonnait, à tout bout de champ, le limogeage de ses sujets et parfois aussi d’Alice : « Décapitez-la ! » Bon je sais bien que, d’une fois à l’autre, Alice devait probablement se rendre compte qu’il ne s’agissait là que d’une injonction sans conséquence, mais elle savait y faire avec la rencontre de nuages et avait le don de garder le ciel bien en vue ! 😊
[…] — Ça n’a aucun sens ! cria Alice. Quelle idée de prononcer d’abord la sentence !
— Tais-toi donc ! ordonna la Reine, qui devenait écarlate.
— Non !
— Décapitez-la ! hurla la reine de toutes ses forces.
Personne ne bougea. […]
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (Paris : Édition Générale Française, 2009), page 160. Édition et traduction de Laurent Bury. Illustration Sir John Tenniel.
Il y a peut-être là une leçon plus importante à retenir qu’il n’y paraît. Le pays des merveilles ne consisterait-il pas en une perspective particulière adoptée à l’égard du monde où l’on vit ?… Pour qui sait, comme Alice, ne pas s’accrocher les pieds dans les obstacles qui se présentent, le monde ne peut-il pas déjà apparaitre comme étant merveilleux ?… Alice veut réparer les injustices et aider le monde autant qu’elle peut, mais elle n’est pas obsédée par les épreuves qui surviennent régulièrement, elle parcoure son chemin avec joie et enthousiasme. Dans cette optique, on pourrait réécrire ainsi la fin de cette citation populaire : « Heureux qui comme… Alice ! 😊 »
2- Explorer l’inconnu
Peut-être faut-il inclure dans cette hypothèse concernant l’appréciation de la vie une ouverture à l’inconnu et même une propension à s’y diriger allègrement. Le monde est vaste et ces vicissitudes multiples, mais encore faut-il aller à sa rencontre ! Alice avait les yeux grands ouverts, l’esprit malléable et le geste volontaire, bien au-delà des préconceptions habituelles et des craintes qui les accompagnent souvent.
3- S’attarder dans les situations inspirantes
Il y aurait donc un élan vers l’inconnu, une capacité à affronter les difficultés directement, mais sans s’y attarder et, peut-être plus que tout, une tendance à faire et à refaire son nid partout où l’on se sent émerveillé, content ou adéquatement situé. Que la situation soit hilarante ou difficile, Alice demeurait dans ces endroits inspirants sans ambivalence comme l’arbre étend ses racines là où il est, simplement.
Transposée dans le monde qui nous entoure, cette façon de faire pourrait tout autant prolonger nos séjours en nature ou avec nos proches, qu’augmenter nos échanges avec des organismes inspirants qui s’occupent de l’environnement ou des moins favorisés parmi nous. Cela pourrait même nous donner envie d’aider directement, plus souvent ou plus longtemps, des êtres qui vivent des situations difficiles : maladie, deuil, proximité de la mort, isolement, etc.
Par ailleurs, pour élargir la panoplie des situations que l’on apprécie vivre, il faut aussi approfondir notre capacité à s’ouvrir à l’inconnu, aux imprévus et aux situations inconfortables au premier abord. Des aptitudes qui se dévoilent et s’amplifient habituellement au fil des démarches d’introspection, d’entraide, de thérapies, ou à travers des pratiques associées à la méditation…
Pourquoi aider le monde, au pays des merveilles ?
On peut se demander : pourquoi on continuerait d’essayer d’améliorer le monde, s’il apparaît déjà comme un pays des merveilles ? Afin d’assurer une telle possibilité de perspective fantastique pour tous les êtres vivants. Pour plusieurs, le contexte est en effet trop difficile. Pour espérer garder le ciel bleu en fond de paysage de vie, faut-il encore qu’il y ait des éclaircies à l’occasion ! Ce n’est pas le cas pour des millions d’êtres vivants qui meurent de faim, sont emprisonnés injustement, sont victimes de violences continuelles ou encore, comme une multitude d’animaux, vivent enfermés, entassés et maltraités… ☹
Il est légitime de continuer de vouloir aider « le monde » autant qu’on peut, afin d’assurer une meilleure qualité d’existence ou la survivance des êtres vivants.
Lorsque je me glisse dans la perspective d’Alice où le monde est merveilleux, il me semble que les gestes pour aider le monde peuvent alors être posés assez aisément, en douceur…
Je sors mon carnet de notes lié au projet de La fin des milliardaires. J’y synthétise mes réflexions sur cette façon de voir et de vivre le merveilleux : en calibrant autrement nos choix et nos élans appréciatifs, à même le tableau actuel du monde dans lequel on vit. J’en discuterai éventuellement avec Béatrice…
Pause-santé éminente : considérations et réflexions
J’ai mal aux dents. Mon automne est vraiment nimbé d’un halo dentaire (!) : magasinage de dentistes et autres spécialistes, traitements nombreux, suivis de rétablissement, etc. Ce matin, je dirais même qu’il s’agit d’un passage plus plombé que nimbé ! ☹ Difficile de me concentrer à travers les engourdissements de la douleur… Chacun son tour, comme on dit.
Novembre est bien entamé. Je suis au cœur de mon automne plutôt chargé. Je pars mardi prochain pour 10 jours, seul, dans un chalet, pour me ressourcer : méditation, étude du fonctionnement de l’esprit, exercices et yoga. Encore une fois, je suis bien choyé d’avoir le temps de faire une telle parenthèse santé. Aussi très chanceux que des amis me prêtent leur chalet. Je ne m’en vais pas me divertir, mais plutôt me retrouver, et ce à temps plein, 24 heures sur 24, retiré complètement des activités et relations régulières. Être à l’écoute de ce qui a lieu, à l’intérieur comme à l’extérieur de moi… …
Un ami me disait récemment que cette retraite dans le bois ne semblait pas être des vacances. J’ai confirmé, mais nous avons ensuite échangé sur ce qu’il en était des vacances en général : combien de fois sommes-nous retournés au travail plus fatigués ou moins enthousiastes que nous l’avions quitté ? Alors qu’habituellement je reviens d’une retraite de méditation plus en forme que je ne l’étais auparavant. Plus inspiré pour le retour aux activités régulières du travail et de la vie. 😊 Je ne fais pas vraiment cette retraite parce que ça me tente, mais plutôt parce que j’ai l’impression que c’est ce que j’ai à faire pour être satisfait de ma vie. Pour avoir l’impression de faire tout ce que je peux, afin d’être le plus utile et agréable possible. Pour être à la hauteur de ma situation privilégiée quoi !
Je me dirige vers cette pause-santé automnale avec un sentiment général que ma vie est bien remplie et même parfois un peu trop. Ce genre de pause contemplative permet de clarifier mon appréciation des diverses avenues de ma vie et de m’y situer avec plus d’assurance et de contentement. Par exemple, est-ce que de nouvelles pistes sont à suivre dans mon travail d’écriture ? Et ainsi de suite, concernant tous les aspects de la vie… …
Autre exemple : Que faire avec mes idées d’étendre la guignolée du temps des Fêtes à une générosité plus continuelle, en particulier via de nouveaux dons mensuels à des organismes humanitaires ou environnementaux ? Je n’ai pas de nouvelles intuitions qui m’amèneraient à contacter les organisateurs de la grande guignolée des médias. Dois-je attendre ou les contacter sans avoir de projets particuliers à proposer, juste pour voir ?… Par ailleurs, les responsables de l’organisme où je fais du bénévolat les lundis m’ont invité à participer à leur guignolée, à la fin novembre. Même si ce genre de collectes ne m’attire pas, j’ai accepté de m’y impliquer, si les caprices de nos horaires respectifs coïncident. Est-ce suffisant, à ce propos, pour cette année ?…
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Merci Benoît pour ce nouveau partage, j’aime que tu y fasses mention de l’importance de prendre le temps de faire le tri et d’écouter ce qu’on porte au dedans de soi et aussi le fait qu’on peut développer notre aptitude à voir qu’il a de la lumière dans la noirceur et que la noirceur c’est de la lumière comme dirait ma prof de Yoga. Je viens de me connecter à l’oeuvre merveilleuse d’une cinéaste, Marie-Monique Robin, qui se préoccupe depuis longtemps de changer le monde et y arrive pour vrai. C’est elle par exemple qui a fait le film « Le monde selon Monsanto » qui a eu un énorme impact. Un de ses films « sacré croissance » est accessible en ligne en ce moment et je le recommande à tous. Ce qu’elle a éclairé pour moi c’est ce qui semble te faire problème dans ce billet : comment faire pour redistribuer le bonheur dans une société comme la nôtre. Quel choix faire. La solution ne peut être individuelle, c’est ce que j’ai mieux compris grâce à elle. Nous avons besoin les uns des autres pour y arriver. Une autre organisation sociale est nécessaire centrée sur l’autonomie alimentaire, énergétique et monétaire des communautés et qui mette à son cœur le bonheur de tous (satisfaction des besoins plutôt que des désirs). La bonne nouvelle est que ces nouvelles façons de faire sont en marche, parfois depuis plusieurs années, à l’échelle de villages ou de quartiers partout dans le monde (on en aurait au moins une 50aine au Québec) et qu’au moins 4 gouvernements nationaux les soutiennent (Bouthan, Écosse, Islande, Nouvelle-Zélande).
Salut Pascale!
Merci pour les commentaires et les précieuses références.
Je crois aussi que le bonheur individuel peut être largement favorisé par organisation sociale solidaire et respectueuse de l’environnement. J’estime par ailleurs, que l’on peut tout de même vivre avec passablement de satisfaction (ou de bonheur) dans l’actuelle situation du monde — telle qu’elle est –. C’est justement le cœur du chapitre que je partage aujourd’hui ou de la petite « recette » pouvant peut-être permettre de vivre dans une perspective « merveilleuse », malgré toutes les folies actuelles du monde. 🙂
À partir de là, bien sûr que l’on peut (ou l’on doit?) s’investir à plein dans les avenues parcourues et suggérées par Marie-Monique Robin ou d’autres semblables. Peut-être même que ces actions vers et pour le monde permettent de s’assurer de maintenir une telle perspective merveilleuse…
Au plaisir et à bientôt
Un peu comme te l’écrit ton amie Pascale dans son commentaire ci-dessus, de nouvelles façons de faire sont en marche, parfois depuis plusieurs années, à l’échelle de villages ou de quartiers partout dans le monde. Je considère qu’il ne faut pas désespérer de notre monde, malgré ses faux pas. La principale prise que nous avons est sur nous mêmes. Bravo pour ce temps de retraite dans un chalet pour y vivre une expérience de silence. C’est ce que je recherche quand je vais dans une cache l’automne pour y surveiller des chevreuils. Je crois qu’il est possible d’apporter sa juste part pour rendre le monde meilleur là ou nous avons les pieds. Je crois beaucoup aux dons mensuels qui contribuent à aider les organismes qui travaillent à rendre le monde meilleur. C’est ce que j’ai commencé à faire avec quelques organismes qui prolongent ma vision des choses. Ne désespérons pas de notre monde. Au plaisir !
Salut François,
Merci de partager ainsi tes commentaires, j’apprécie beaucoup! 🙂
Les dons mensuels sont aussi pour moi une très grande source de satisfaction et de joie. Ils constituent un lien d’entraide avec le monde moins favorisé et cela équilibre mon bonheur démesuré, je dirais…
Quant aux retraites-santé, j’avoue que ces périodes plus intensives et prolongées font beaucoup de bien. J’essaie aussi, au quotidien, de me retirer le plus possible du babillage mental qui occupe souvent tout l’espace lorsque je ne veille pas à revenir plus entièrement à mes sensations et perceptions…
L’équilibre entre l’engagement dans les activités et l’ouverture aux situations telles qu’elles se présentent constitue un chemin subtil duquel il m’est facile de m’écarter!
Au plaisir!
Bonjour Benoit,
Voilà une page de ton journal que j’ai trouvé particulièrement intéressante car elle me permet de faire plusieurs liens. D’abord, l’attitude d’Alice face aux obstacles auxquels elle est confrontée me ramène à l’attitude du méditant qui laisse se dissoudre les émotions négatives générées par les situations ou les pensées qui se présentent à lui. Un autre lien intéressant est tiré d’un livre intitulé tout simplement SOCIAL, dans lequel l’auteur, un neuroscientifique, affirme suite à ses recherches que nos cerveaux sont câblés pour se connecter aux autres, et que ce besoin serait encore plus fondamental que le besoin de se nourrir. Cela pourrait expliquer le sentiment de bien-être et de quiétude exprimé par les grands méditants lorsqu’ils ressentent un fort sentiment de bienveillance et de compassion pour leurs frères et leurs sœurs humains. Ainsi, développer davantage de compassion chez chacun de nous (à travers l’éducation par exemple) pourrait se traduire par un plus grand bien-être personnel et une plus large connexion au sien de nos communautés. Enfin, les théories du Chaos, de la Complexité ou encore l’Effet papillon, nous indiquent que le changement s’opère à partir de petits gestes et qu’à partir d’un seuil critique, on atteint éventuellement un point de non retour.
Pour l’instant, il est difficile de mesurer le chemin parcouru face à ce point de bascule (Edge of Chaos). Mais il y a de l’espoir ! Et par tes articles et ton engagement Benoit, tu contribues à ouvrir les consciences et à favoriser ce changement.
Merci !
Yvon
Salut Yvon,
C’est donc bien gentil cette remarque là! Merci, mon cher ami, je l’apprécie… 🙂
Merci aussi de partager ici ces idées qui sont très pertinentes et qui permettent d’approfondir la réflexion en soulignant de nouveaux angles de perspectives… …
Quant au point de bascule dont du parles, je pense qu’il s’agit bel et bien d’une loi pour ainsi dire « physique » de la vie en société et j’espère qu’on l’atteindra avant que la nature ou les multitudes défavorisées ne nous fassent basculer autrement. Je l’espère vraiment, mais je pense qu’il vaut mieux y travailler avec le plus de diligence possible, car je ne suis malheureusement vraiment pas certain que l’on ne s’approche encore tellement d’un tel moment de changement…
Dans tous les cas, un travail semblable peut comporter de nombreuses sources de joie puisqu’il se fait sur une planète fabuleuse où l’on trouve de nombreuses personnes inspirantes comme toi! 🙂
Au plaisir!
Merci encre une fois pour ton implication !
🙂