Hier soir, j’ai assisté, avec Dorothée, à une conférence sur les paradis fiscaux donnée par un expert en la matière. Oh là là ! Le monsieur, il n’était pas content !
Le conférencier connaissait son sujet sur le bout des doigts pour avoir fait de nombreuses recherches concernant celui-ci et il avait aussi écrit quelques livres à ce propos. Il terminait un cycle de conférences et autres démarches liées à la lutte aux paradis fiscaux et son exaspération était palpable. C’était agréable, mais un peu comme un aliment amer judicieusement cuisiné dans une sauce fruitée… 😊
Il a d’abord brossé le portrait des paradis fiscaux en nous expliquant qu’ils sont hébergés par des législations complaisantes. Il s’agit de pays, ou de parties de pays (provinces, territoires, etc.) avec une indépendance législative dans certains domaines, qui font des lois pour attirer des entreprises voulant principalement sauver de l’impôt. Et pas juste un peu d’impôt : des centaines de milliards de dollars sont non payés dans les pays où les bénéfices sont, en fait, réalisés. Des centaines de milliards qui échappent à presque tous les gouvernements du monde et aux citoyens qu’ils représentent ! ☹
Extrait de Alice au pays des merveilles:
[…] Le jury parut intrigué.
– Il doit avoir imité l’écriture de quelqu’un d’autre, suggéra le Roi.
– Le jury parut enchanté.
– Excusez-moi, Majesté, dit le Valet, ce n’est pas moi qui ai écrit le poème, et personne ne peut prouver que c’est moi : il n’est pas signé.
– Si vous ne l’avez pas signé, conclut le Roi, c’est encore pire. Vous aviez forcément l’intention de nuire, sinon vous auriez signé comme toute personne honnête. […]
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles (Paris : Édition Générale Française, 2009), page 156. Édition et traduction de Laurent Bury. Illustration Sir John Tenniel.
Quant aux entreprises concernées par ces « détournements » de fonds à très vaste échelle, il s’agirait principalement des multinationales. Celles-ci sont légalement – et artificiellement – constituées comme de multiples entités indépendantes qui font affaire entre elles. Cela leur permet donc de transférer des profits d’un pays où ils font affaire vers un paradis fiscal en stipulant, par exemple, qu’il s’agit de droits payés à la maison-mère. Dans les faits cette « maison-mère » est établie dans un paradis fiscal, et ne fait presque jamais d’activités réelles dans ces endroits. C’est la main gauche de l’entreprise, située là où ses activités ont lieu, qui passe les profits dans sa main droite, située dans un paradis fiscal où l’impôt est extrêmement bas ! ☹
Avec la complicité des dirigeants des pays victimes
Notre conférencier nous a expliqué aussi que les législations voyous abritant les paradis fiscaux, existent avec le consentement tacite des pays supposément non voyous ! Une complicité extrêmement malsaine où chacun se dit victime du voisin et incapable de changer quoi que ce soit. Pourtant, ce ne sont là que des lois faites par des humains pour gérer des humains. On ne parle pas ici de catastrophes climatiques comme des ouragans qui seraient incontrôlables ! Si ces lois sont écrites par les humains, c’est qu’elles peuvent aussi être changées ou effacées par nous, si… si quoi ? Voilà toute la question, semble-t-il.
Une solution en deux volets : l’un aisé et l’autre… politique
La solution à cette situation si largement décriée comporterait deux volets fondamentaux. D’abord, un élément fiscal assez simple à mettre en place et qui permettrait de calculer l’impôt à payer dans les pays où les profits sont faits à partir de ce qui est déclaré dans le bilan des activités transmis aux actionnaires concernés. Comme ce premier aspect est vraiment simple à réaliser, mais qu’il n’est pas mis en œuvre, il faut en conclure que le problème se situe dans le deuxième volet d’une éventuelle solution : le domaine politique. Il semble bien qu’il y ait là un manque de volonté notoire ou, dans plusieurs cas, de la mauvaise foi due à une connivence avec les entreprises concernées ! Certains dirigeants de pays pourraient, à tout le moins, s’engager ouvertement et formellement à mettre en place des solutions fiscales, si une majorité des pays s’engageaient dans le même sens. Autour d’une telle table de négociation, créée à l’échelle internationale, on pourrait alors demander des comptes aux dirigeants de pays réfractaires, afin d’accélérer la mise en place de solutions.
Les situations étaient clairement expliquées par notre présentateur, les exemples choisis pertinents et percutants, les critiques bien acérées, mais sans complaisance. Dorothée et moi nous regardions à l’occasion, tous deux alternant entre l’appréciation pour la clarté du propos et l’amertume face aux situations explicitées.
Notre conférencier était particulièrement déconcerté par le fatalisme des politiciens qu’il avait rencontrés et il était fâché du bien peu de courage d’agir qu’il avait constaté chez eux. Cela m’a fait penser à d’autres experts que j’ai déjà entendu avoir des récriminations similaires en ce qui concerne l’écologie. Dans ce domaine aussi, plusieurs dirigeants disent comprendre les problématiques, mais cela ne les amène pas à agir en conséquence pour améliorer la situation. Manque de compréhension approfondie ? Manque d’imagination ou d’initiative ? Manque de courage ?…
Avec le support de nos universités et de plusieurs d’entre nous
Le portrait de la situation dressé jusqu’alors était déjà très navrant, mais d’autres éléments désolants émergeaient… Nous apprenions que les stratégies pour éviter de payer de l’impôt sont enseignées dans des universités financées… à même cesdits impôts ! Il n’y a pas là de grande surprise, mais prendre conscience de cette situation, pour le moins paradoxale, cela nous interpellait.
Une autre évidence esquissée était aussi ahurissante : les coupures dans les services sociaux (éducation et autres) et de santé sont dues en bonne partie aux impôts non payés par les multinationales. Pourtant ceux qui font les plus grands profits doivent évidemment contribuer tout aussi largement à notre organisation sociale, sinon les ressources viennent nécessairement à manquer !…
Le conférencier était aussi exaspéré d’assister à la dégringolade des conditions de travail et des salaires dans le domaine public, et ce alors même que les dirigeants d’entreprises amassent des fortunes exorbitantes qui sont en constante croissance. Il nous rappela une époque, pas si lointaine, où les conditions de travail dans le domaine public servaient de phare et même de locomotive pour la négociation des travailleurs du secteur privé. Ce revirement de situation m’étonne aussi depuis un bon moment. Comment diable les citoyens en sont-ils venus à critiquer les bonnes conditions de travail des fonctionnaires plutôt que d’aspirer – comme auparavant – à ce que tout le monde y accède ?…
La conférence terminée, Dorothée et moi sommes repartis, soufflés par cette présentation !
Nous avons échangé très peu lors de notre retour en métro. Comme après un repas très copieux, l’énergie se concentre pour faciliter la digestion de ce que nous venons d’absorber…
Je reviendrai sûrement avec Béatrice sur ce sujet où les milliards coulent à flots, une fois de plus. Il me semble qu’il y a là un aspect important à couvrir dans son émission. Si c’était un peu moins aisé d’accumuler des sommes astronomiques en évitant de payer les impôts là où on le devrait, ce serait un pas dans la bonne direction !…
Liens complémentaires: 1. Comprendre les paradis fiscaux (2:56).
2. Le prix à payer (45:44), inspiré du livre La Crise fiscale qui vient, de la fiscaliste canadienne Brigitte Alepin.
3. Entrevue avec Alain Deneault à Tout le monde en parle (8:40).
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Bonsoir Benoit, je suis moi aussi un peu dépassé par l’ampleur des paradis fiscaux et par le manque de volonté politique pour obliger les multinationales à payer leur juste part d’impôt pour soutenir les services publics. Une fois de plus, je constate que le dieu argent exerce un attrait démesuré qui contrecarre fortement les valeurs de solidarité, d’équité et de justice sociale. Je suis fier d’appartenir à une association de retraité qui s’appelle l’AREQ et qui prône des valeurs d’engagement et de solidarité, d’égalité et de justice, de respect et de liberté de conscience. Le défi consiste à passer des beaux principes aux actes et d’agir concrètement dans le sens de ces valeurs pour contribuer à construire un monde meilleur. Au plaisir !
Salut François,
En approfondissant le sujet des paradis fiscaux, j’ai découvert des initiatives fort prometteuses!
D’abord, cette fiscaliste québécoise de renom, Brigitte Alepin, qui s’implique intensément et depuis longtemps pour changer la situation de l’évitement fiscal. Un de ses livres a d’ailleurs inspiré l’excellent reportage que j’ai placé en lien après ce chapitre. Elle est aussi très engagée dans un beau projet pour prendre soin des enfants victimes de violence : Radio-Dodo.
Ensuite, j’ai découvert un organisme de belle envergure, Échec aux paradis fiscaux. Plusieurs grandes organisations en sont membres : CSN, FTQ. CSQ, SCFP, AREQ, etc. Je les suis maintenant sur Facebook et j’appuierai leurs démarches quand c’est possible…
Finalement, j’ai aussi découvert récemment l’Association québécoise pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC-Québec). Ils sont très impliqués dans des actions directes pour éliminer ces paradis fiscaux et tout évitement fiscal. Ils invitent souvent les citoyens à s’impliquer dans les événements qu’ils organisent et je compte bien emprunter cette avenue (à l’essai, évidemment) dans un avenir rapproché…
C’est quand même encourageant de constater toutes ces implications pour un monde plus équitable!… 🙂
Au plaisir, mon cher François!
Salut Benoît,
Je viens de revoir l’entrevue et je me souviens de ma réaction lorsque je l’ai vu à l’époque, c’est vraiment déprimant, aberrant et très choquant..
Je suis heureuse de voir ta rèponse qui parle de certains projets, d’organismes qui tentent de faire changer les choses. J’irai consulter tes références afin de garder espoir.
Merci de partager tes publications avec nous.
A bientôt
Merci de ton commentaire Danielle, j’apprécie…
Ces organismes sont en effet une grosse source d’espoir concernant l’évitement fiscal indécent et ils sont aussi une belle source de réjouissance où l’on constate que, parallèlement à la bêtise si dommageable pour le monde, il y a un très grand courant de milliers de personnes qui travaillent à établir un monde plus juste et solidaire!… C’est beau à voir et peut-être que ça peut même inviter à s’y joindre…
Au plaisir!