2. En route vers une humanité solidaire, écologique et unifiée


Ce matin, je rencontre Réal pour préciser un peu ce sous-titre qui accompagne La fin des milliardaires, soit En route vers une humanité solidaire, écologique et unifiée. Il a compris ma grande curiosité à ce propos ou il a succombé à l’offre d’un grand latté ! 😊 En tout cas, il m’a donné rendez-vous dans l’un de nos cafés préférés, au petit matin, comme c’est souvent le cas. Nous apprécions particulièrement l’espace dégagé et l’ambiance paisible des premières heures.

Une table de coin. Près d’une fenêtre. La lumière du jour reflète sur la neige et le soleil est éblouissant. Cela crée un halo un peu magique. J’attends Réal. Comme Alice, je suis fin prêt à descendre plus profondément dans le terrier du lapin !…

Halo 1. Photo : Benoît Guérin, 2018.

En levant les yeux lentement du journal du matin, j’aperçois une jeune femme tout sourire, les yeux pétillants et le regard fixé sur moi. Je tourne un peu la tête et j’aperçois Réal à ses côtés, tout aussi souriant, l’air un peu moqueur : « Salut jeune homme ! Comment vas-tu ? Je te présente Béatrice. » Après de brèves salutations d’usage, il poursuit : « Tu voulais en savoir plus à propos du sous-titre de l’émission de Béatrice, eh bien, j’ai pensé que ça serait une bonne idée qu’elle t’en parle elle-même. D’autant plus qu’elle commençait à être plutôt curieuse de connaitre ce voisin à l’intérêt exacerbé par son projet ! »

OK ! Je suis un peu saisi, mais très content surtout. Je n’ai pas le temps d’enchaîner que Béatrice, un peu ricaneuse (et contente de l’effet-surprise, je suppose) est déjà toute en questions : pourquoi je m’intéresse à son projet ? Qu’est-ce que j’enseignais ? Quelles sont mes premières impressions au sujet de l’émission ?

Une vraie bombe d’énergie ! Tout à fait comme m’en avait parlé Réal. Je réponds à chacune de ses questions avec plaisir et elle me relance alors avec une autre question, elle est curieuse. Mais elle sait s’arrêter et écouter, attendre… Elle est mature aussi, me dis-je. Réal, paisible et content, suit muettement nos échanges. Dans le café et tout autour, on dirait que le soleil rayonne un peu plus intensément que d’habitude…

Après avoir présenté brièvement nos cheminements et intérêts respectifs, je sens que l’espace s’est ouvert un peu. Nous commandons des cafés. Je mentionne à Béatrice que je trouve très intéressant, pertinent et audacieux que son émission vise la « disparition des milliardaires » et, par-dessus le marché, l’envie de le devenir. J’enchaine avec la question que j’avais prévu poser à Réal : « Quelle est la signification du sous-titre au juste ? »

Béatrice renfonce alors légèrement ses lunettes du bout des doigts comme pour bien se préparer à répondre, puis débute une longue tirade explicative sans jamais perdre sa verve ou son sourire enjoué : « D’abord, la fin des milliardaires et celle de l’envie de le devenir, c’est un peu comme le verre qu’on vide. Et l’humanité solidaire, écologique et unifiée, c’est le verre qu’on remplit avec le liquide qu’on recueille. Des vases communicants quoi ! On ne peut remplacer un rêve que par une autre espérance de même proportion. Pour cesser de rêver la richesse, on doit pouvoir commencer à rêver quelque chose d’aussi attirant. Évidemment, ce quelque chose ne doit pas nous ramener dans l’envie de grande richesse. »

Rêve d’un dimanche après-midi dans le parc Alameda. Murale de Diego Riviera, 1948.

Elle me précise alors que l’émission s’évertuera tout autant à démontrer les effets néfastes de l’accumulation de très grandes richesses que les effets bénéfiques de la solidarité et des actions écologiques. « Pas question d’essayer d’éliminer la quête non excessive de richesse, dit-elle, en tout cas ce n’est pas là un des buts. L’idée c’est seulement de mettre en évidence le lien entre la pauvreté des uns et l’accumulation d’immenses richesses de certains. Pas de recherche de coupables, car plusieurs parmi ceux qui ne sont pas milliardaires rêvent de l’être, il ne faut pas l’oublier ! »

L’association des humains

« Et l’humanité unifiée, dis-je, ça s’insère comment dans le portrait ? »

« L’humanité unifiée, répond-elle, c’est un peu comme la cerise sur le sundae. C’est le rêve d’une humanité réunie sous un même drapeau ! Pas une association de nations où quelques pays très puissants contrôlent les enjeux majeurs comme actuellement à l’ONU par exemple, mais une vraie association d’humains du monde entier qui s’unissent politiquement autour de valeurs de base communes : la solidarité et l’écologie. Cela pourrait avoir lieu à l’intérieur des structures actuelles de l’ONU, s’il est possible de les revamper grandement pour être plus représentatives de la majorité des humains. Sinon, d’autres avenues seront envisagées. Je crois qu’il s’agit là d’un élément d’envergure, qui pourrait aider à remplacer l’attrait de la fortune et, dans la même foulée, pourquoi pas aussi le palmarès annuel des personnes les plus riches au monde, si populaire actuellement ! » ajoute-t-elle avec une pointe de raillerie.

Murale de la salle du Conseil de sécurité de l’ONU. Per Krohg (Norvège), 1952.

Une question me vient spontanément : « Et les pays alors, ils disparaîtraient ? »

« Pas du tout, répond-elle vivement, les pays sont essentiels pour veiller à la préservation des cultures, des langues et de toutes les autres spécificités territoriales. Ils doivent garder une complète autonomie politique sur ces enjeux. C’est au sujet des grands principes d’interdépendance comme la solidarité et l’écologie qu’il faudrait établir de nouvelles instances politiques plus effectives. »

L’idée me paraît ambitieuse, mais… bien de son temps aussi ! Ça me rappelle les grands idéaux du siècle passé. Ceux-là mêmes dont Réal et les baby-boomers nous parlent encore avec nostalgie. Des aspirations que nous avons effleurées, mais qui font toujours rêver. Lors de mes dernières années d’enseignement, je présentais des extraits d’un documentaire sur le grand festival de Woodstock qui a eu lieu aux États-Unis en 1969. On y entend plusieurs jeunes d’alors qui, au-delà des clichés hippies de drogue et de sexe, désiraient clairement créer un monde nouveau autour des valeurs de paix, d’amour et de contact avec la nature. Au moment de visionner ces événements, une grande majorité d’élèves manifestaient une forte attirance pour ce qui se passait là. Pour la fête, bien sûr, mais pour ce mouvement de masse surtout. Un mouvement généralisé et confiant, qui visait à établir un monde où il fait vraiment bon vivre en harmonie avec les autres – tous les autres – et avec la nature aussi.

La diffusion de La fin des milliardaires

Avec l’ampleur du tableau esquissé par Béatrice une question monte spontanément : « Il me semble qu’un tel programme va nécessiter pas mal plus qu’une ou deux émissions ou présentations. Quel genre de formule envisages-tu ? »

« L’émission doit prendre place hebdomadairement, ou aux deux semaines, ce n’est pas encore décidé. La diffusion doit avoir lieu à la télé et sur internet, simultanément si possible. Si cela s’avère impossible, nous diffuserons alors en deux temps distincts, mais avec la même fréquence. Nous voulons être certains de rejoindre tous les publics. Parallèlement à la diffusion proprement dite, nous établirons des plateformes d’échanges réguliers sur internet, possiblement en continu, pour que les gens puissent participer activement à l’émission en commentant, suggérant ou contestant les contenus diffusés. Les chroniqueurs pourront aussi se servir de cette tribune pour soutenir des projets en lien avec l’émission. »

Devant l’ampleur du tableau. Tableau: Rome Antique, Giovanni Paolo Pannini, 1755. Photo du tableau : Benoît Guérin, 2015.

Des actions concrètes pour aider le monde

Réal intervient alors : « Tu me disais que non seulement vous vouliez susciter « implicitement » l’intérêt des gens et les changements, en diffusant des contenus sur les problématiques et les solutions possibles, mais que tu comptais aussi favoriser « explicitement » les changements en suggérant des moyens ou même en les organisant ? »

« En effet, lui répond Béatrice, tu peux être certain qu’on va aussi y aller explicitement ! L’émission doit aider réellement ou concrètement. Elle doit permettre d’augmenter significativement la solidarité dans le monde et le respect de l’environnement. Bien sûr, les présentations sur les problématiques et les solutions sont importantes, car elles peuvent indirectement engendrer des actions de la part des personnes ou des organisations qui les constatent. Toutefois, j’entends bien m’assurer qu’on ne fera pas que parler, on avancera aussi ! J’envisage de nommer trois responsables qui chapeauteront les aspects principaux de la route à parcourir : solidarité, écologie et unification de l’humanité. Je les appelle actuellement mes chroniqueurs-activistes ! En plus de solliciter la participation et les idées des auditeurs, ils devront s’assurer de mettre en place un bon dosage de présentations suggestives et d’actions concrètes ou des gestes qui peuvent occasionner directement des changements. »

Curieux, je lui demande : « De quels genres d’actions concrètes veux-tu parler ? »

« Par exemple, répond-elle, les chroniqueurs suggéreront parfois aux auditeurs d’encourager par leurs achats ou autrement des entreprises qui augmentent la solidarité au sein de leur organisation en diminuant les écarts de salaires ou encore d’autres compagnies qui veillent à diminuer significativement l’exploitation de leurs travailleurs à « l’étranger », comme c’est largement le cas actuellement dans l’industrie du vêtement et dans bien d’autres ! Certains organismes à but non lucratif font déjà ce genre d’action en ce qui concerne l’écologie, mais c’est beaucoup moins développé concernant la solidarité. On envisage aussi de comparer régulièrement les programmes des partis politiques des différents paliers de gouvernements par rapport aux trois aspects à améliorer et suggérer aux gens d’appuyer l’un ou l’autre des partis en fonction des résultats. »

« Hum… et que disent les grands patrons de ce genre d’actions « engagées » que tu envisages ? », demande alors Réal en ancien collègue un peu sceptique.

« Tu sais Réal, répond Béatrice, je crois que leur attirance pour un concept d’envergure dépasse leur crainte d’imbroglios juridiques ou de polémiques. Ils disent que la controverse, bien encadrée légalement, est souvent un signe de popularité et un gage de succès. En tout cas, c’est comme ça pour le moment, on verra bien éventuellement, en se rapprochant d’un échéancier de lancement. »

Nous continuons un bon moment d’échanger autour des possibilités d’actions envisagées pour La fin des milliardaires. Les discussions sont très inspirantes. Au bout d’une longue série d’échanges, Béatrice reprend son souffle en regardant son cellulaire : « Je dois malheureusement écourter notre discussion, dit-elle, parce que j’ai un autre rendez-vous qui m’attend. C’est vraiment trop dommage, j’ai l’impression qu’il y a encore beaucoup à partager ! » Elle m’invite alors à la contacter de nouveau : « Le projet d’émission est avancé, dit-elle, mais il reste amplement de place aux nouvelles idées et si ça t’intéresse, c’est partie remise ! »

Alice au pays des merveilles. Illustration : John Tenniel.

Réal et moi restons seuls à notre petite table de coin, près de la fenêtre. L’éclat du soleil a repris des proportions plus coutumières, mais un halo envoûtant persiste… On ne ressort pas indemne du terrier du lapin, me dis-je, un léger sourire au coin des lèvres. Je me sens vidé, mais content comme après une longue randonnée en forêt ! 😊

Halo 2. Photo : Benoît Guérin, 2018.

Avant de quitter le café, je demande à Réal s’il pense que le projet de Béatrice c’est quelque chose de secret ou si je peux en parler. « Dans ce domaine-là, mon ami, me répond-il en enfilant son manteau, c’est premier arrivé, premier servi ! Si tu as un projet digne de mention, tu n’as qu’à le mettre en branle le plus vite possible ! » Et en sortant du café, il ajoute : « Un tel projet, de toute façon, dépasse l’idée habituelle de propriété intellectuelle ou privée. »

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9 commentaires à propos de “2. En route vers une humanité solidaire, écologique et unifiée”

  1. En route vers une humanité solidaire, écologique et unifiée, quel beau titre et quelle belle perspective pour construire un monde meilleur, objectif que je partage pleinement et que j’essaie d’actualiser avec mes forces et mes limites à l’aube de mes 70 ans.

    • Cher François! Je suis bien certain que tu vis dans une perspective semblable à celle suggérée ici et depuis très longtemps, je dirais!
      Je me considère bien chanceux d’avoir pu partager avec toi de belles plages de projets de travail et d’avoir encore le plaisir d’échanger sur ce qui nous tient à cœur. 🙂
      Au plaisir et à bientôt

  2. C’est un avenir que je veux pour mes enfants et tout le monde le mérite. Il faut croire et travailler vers une humanité solidaire, qui respecte et protège l’environnement. Ceci nous unifiera.

    Merci Benoît 🙂

    • Merci pour ton commentaire!
      J’espère aussi qu’on verra très bientôt, un peu partout sur notre belle planète bleue, de grands projets nous engager énergiquement et joyeusement dans des façons de vivre soucieuses des autres et de la nature, en général.
      Je crois que toutes les audaces dans ce sens sont essentielles. Et exprimer son opinion ouvertement n’est certes pas le moindre des gestes courageux à poser! 🙂
      À bientôt Elsa

  3. Béatrice pourrait se mettre déjà en lien avec des confrères et consœurs des autres pays de la terre avec un tel projet et organiser des réunions virtuelles. On voit déjà des organisations spontanées du genre par exemple pour présenter des candidats sur un même programme et un nouveau parti transnational aux dernières élections européennes. Les listes de candidats étaient nationales mais le programme politique et l’intention était transnational. Si je me souviens bien le programme visait plutôt au centre mais pour défendre des valeurs pro-européennes et solidaires.Il y a aussi bien sûr depuis 4 ans la plateforme transnationale Ulab autour de la théorie U d’Otto Scharmer dont l’intention est d’opérer des transformations profondes dans des domaines variés comme l’économie et l’éducation. Depuis au moins 2 ans l’Université Concordia forme certains de ses étudiants à cette méthode, leur « hub » accueille aussi les personnes de la communauté qui le souhaitent. https://www.concordia.ca/artsci/chrcs/programs/ulab-social-innovation.html. Dans ce cas on ne fait pas qu’échanger, on agit sur plusieurs années pour se transformer soi-même par la mise en action. La capacité à « écouter » ce qui est en émergence fait partie des compétences mobilisées.

    • Wow! Quel texte intéressant et enrichissant! Il y a là de riches idées et projets à explorer.
      Ces idées sont en effet tout à fait dans le prolongement du projet de Béatrice.
      Au plaisir de lire de nouveau tes billets sur ce blogue Pascale! 🙂

  4. Rétroliens : Introduction – La fin des milliardaires

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