34. Retraite santé et vertiges d’avenir


Jour 8 de ma retraite santé : méditation et compagnie

Ce matin, j’ai peut-être favorisé une fin de vie meilleure à une mouche. 😊 J’ai pris une gorgée d’eau pour avaler une pilule, il y avait autre chose dans le verre, je l’ai ôté vivement et envoyé au fond de l’évier. Là, j’ai aperçu la mouche. Je l’ai bougé un peu, du bout du doigt, et elle vivait. Je l’ai pris doucement. Je me suis dirigé dehors. J’ai soufflé un peu d’air chaud sur ses ailes en espérant l’aider un peu. Puis, je l’ai déposée doucement par terre, dans la nature, en espérant pour elle une fin de vie meilleure… Voilà.

Bien sûr, je n’en sais rien de ce qui peut constituer une vie agréable pour une mouche. Je ne sais même pas si elles sont en mesure de ressentir de telles émotions. Je me dis que c’est possible… La plupart des animaux que j’observe ressentent certaines émotions comme la peur ou le contentement. Par exemple, lorsqu’un chat ronronne, il est clairement content, n’est-ce pas ? Je me dis que ce n’est pas impossible qu’il en soit aussi ainsi des poissons ou des insectes… Ce n’est pas parce ces derniers sont tout petits, et moins à mon échelle, que les possibilités sont inexistantes. Allez donc savoir si cette mouche n’avait pas une vie sociale et affective, et si elle ne s’en allait pas rejoindre sa famille ! Enfin, nous sommes parfois arrogants de croire que seules nos vies peuvent avoir du sens et de l’importance…

À votre échelle. Photo : Benoît Guérin, 2018.

En tout cas, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour aider cette mouche. Je me suis peut-être trompé, mais… peut-être pas. Et je ne crois surtout pas que j’aurais mieux agi en l’écrasant bêtement dans le lavabo.

En ces derniers jours de retraite santé où j’ai médité autant sur mes limites que sur la multitude des êtres défavorisés de la planète, je me contente certes d’essayer d’aider ceux qui m’entourent comme je peux. Au moins, à ce propos, j’ai fait mouche ! 😊

Retraite santé, jour 9

Il fait noir. J’ai ouvert la lumière qui éclaire à l’arrière du chalet. Le thuya et quelques autres arbres défeuillés apparaissent, mais le lac, à quelques pas plus loin, n’est qu’un souvenir. Le monde autour est petit, la nuit ça fait comme ça, et je suppose que sous terre, dans le terrier du lapin, ça ressemble à cela aussi…

Un thuya la nuit. Photo : Benoît Guérin, 2018.

C’est ma dernière journée ici, demain je ramasse, je replace, je nettoie, et je retourne chez moi, à quelques heures d’automobile d’ici. On dirait que je vis dans ce chalet depuis des mois ou… depuis quelques instants à peine, ça dépend de ce qui émerge, à l’intérieur… Quel périple !

Des démons sous observation 

J’ai passé par toutes sortes d’émotions ces derniers jours. Quelques-uns de mes démons se sont débattus comme au contact de l’eau bénite ! Malheureux de ne pouvoir crier leur rage ou cracher leur venin, car je suis ici pour observer, pour écouter, pour tenter de mieux accueillir la vie telle qu’elle se présente, pas pour barbouiller le paysage de mes états d’âme comme je peux si bien le faire parfois, quand je fonctionne sur le pilote automatique, à la merci de mes habitudes ou de mes prédispositions…

L’agression des démons. Mathias Grünewald, 1512-1516.

Je sens mes démons qui veillent… Ils ont bien hâte de rentrer dans le brouhaha de la vie quotidienne où habituellement ils se taillent une belle place. Toutefois, j’ai aussi repris des forces, et mijoté quelques trucs, afin de demeurer plus ouvert avec ce qui se présente. On verra bien…

Au cours des huit derniers jours, jusqu’à deux heures par jour et même un peu plus, j’ai écouté et lu des enseignements forts instructifs, sur le fonctionnement de l’esprit. J’ai pris des notes et je les ai révisées. J’ai aussi médité, en moyenne cinq heures par jour, afin d’intégrer le mieux possible les enseignements. Ces heures d’entrainement de l’esprit étaient parsemées d’exercices physiques et de yoga. De quoi m’apercevoir, entre autres, d’un léger surpoids auquel il vaut la peine de porter attention…

Incroyable corps humain !

En ce qui concerne le yoga que je pratique (shamatha-yoga), certains développements depuis l’hiver dernier ont particulièrement élargi mes horizons. La première position adoptée lors de l’enchainement de postures consiste à faire un balayage mental du corps, des pieds à la tête. Je pratiquais cela depuis plusieurs années avec plus ou moins d’impact sur ma façon de voir le monde. L’hiver passé toutefois, j’ai décidé de fouiller afin de mieux comprendre la composition et le fonctionnement concret de mon corps : l’ossature, les tendons, la peau et, en particulier, les très complexes systèmes cardiaque, sanguin, nerveux et digestif.

L’homme de Vitruve. Leonardo Da Vinci, vers 1490.

Wow ! quel fantastique et improbable organisme ! Je dis improbable, car en constatant la fragilité de chacune des composantes du corps et leur intime interdépendance, je suis renversé de constater que l’on puisse vivre aussi longtemps sans trop d’avaries majeures. Ce constat me donne l’impression paradoxale d’être encore plus vivant tout en étant plus… mortel. Et curieusement, cela est très agréable comme nouvelle perspective. Avec une conscience semblable, j’ai l’impression d’être plus près de tout ce qui vit et, par conséquent, d’être dans un monde encore un peu plus grand qu’avant… 😊

Au final, en cette dernière journée de retraite santé, il me semble être un peu plus en santé. Plus ouvert à ce qui se présente et mieux outillé pour le faire. Au retour en ville, j’ai l’intention d’aménager davantage de temps pour ma santé physique et mentale (ou spirituelle)… Avec l’automne qui bat son plein et l’hiver qui approche, c’est un très bon temps pour aller vers un peu plus d’intériorité…

Le fameux lâcher-prise 

Au fond, l’essentiel de toutes les pratiques et enseignements, pour améliorer la satisfaction de vivre et le sentiment d’aller au bout de mes possibilités, tourne autour de la même chose : faire avec ce qui se présente, au lieu de m’accrocher à mes points de vue. M’accrocher à mes opinions au point d’en bousculer le monde autour et d’en oublier de danser avec ce qui se présente, c’est la bonne recette pour me retrouver malheureux et isolé. À force d’étudier et de pratiquer, je peux maintenant assez aisément l’énoncer. Reste à le mettre en pratique, le plus souvent possible…

Lâcher-prise. Peinture murale, Allemagne.

En retraite santé, je vois jusqu’où mes points de vue poussent pour s’imposer dans le portrait et peuvent rendre pénible la simple expérience de détente. Quand je ne peux pas divaguer à mon goût, il y a pas mal de vagues sur mon lac, croyez-moi ! En contexte de méditation, voyant ce qui se passe, je peux m’atteler à laisser couler le plus possible, avec curiosité, les états d’âme du monsieur qui n’est pas content

Dans la vie de tous les jours, c’est une autre histoire : beaucoup plus difficile de regarder passer ces états d’âme accrochés ou bornés. Ces moments de grande indignation où je me répands inutilement sur les gens autour de moi… Ces petites colères passagères qui font tout de même des flammèches autour… Tous ces moments où je rumine inutilement des situations inconfortables dans l’espoir de trouver une voie d’évitement…

Attention, qu’on me comprenne bien, je suis — la plupart du temps — très content de ma vie ! 😊 Mais voilà, dans cet état de grâce ponctué de passages chaotiques (mettons !), je veux faire tout ce que je peux pour aider le plus de monde possible à vivre le mieux possible sur cette planète… Si seulement notre Terre peut se trouver bientôt à l’abri de notre bêtise humaine des temps modernes…

Je ne crois malheureusement pas que le courant dominant actuel aille dans ce sens-là : les écarts de richesse augmentent rapidement et la nature est en pleine 6e extinction des êtres vivants ! Alors, je rame…

Ramer dans les courants bienveillants

Je rame comme je peux pour aider autour de moi et j’essaie d’améliorer mes capacités à venir en aide. Mieux reconnaitre la réalité telle qu’elle est et m’y glisser aisément, danser avec elle… je crois bien que c’est une bonne part du programme qui m’est imparti, si je désire aider…

Danser avec la réalité comme Alice dansait si spontanément au fil des rencontres qu’elle faisait : laissant couler simplement les irritants qui se présentaient ou les contournant sans palabre, au besoin. Elle ouvrait son esprit et élargissait ses points de vue sur la réalité lorsque cela s’imposait.

Alice au pays des merveilles. Illustration John Tenniel.

Alors… ne pas rester accrocher à mes vieilles pantoufles lorsque se présentent de nouvelles godasses intrigantes. Élargir plutôt ma garde-robe, pourrait-on dire !

Je me considère choyé d’avoir conscience de la beauté du monde et de pouvoir travailler à l’améliorer là où des besoins se font sentir, à petite échelle. Cependant, je rêve encore souvent de grande fantaisie comme celle des films de La matrice. Toutefois, ce ne sont pas des méchants qu’il faut maîtriser ici-bas, mais plutôt notre propre compréhension du monde et la capacité d’agir pour le préserver ou même le magnifier. Et je parle bien ici de tout le monde, pas juste de certaines parties choisies ou favorisées. Tout le monde, ou… toute la planète, aussi indissociable qu’elle apparaît, si majestueusement, toute bleue, depuis l’espace…

La nature est encore magnifique, malgré tout. C’est toujours bien mieux que la dévastation que nous montraient justement les films de La matrice. Si nous parvenions à vaincre notre bêtise — qui est en fait le seul méchant dans le portrait — nous habiterons encore un monde merveilleux… Toutefois, j’ai l’impression qu’un seul Néo ou un seul sauveur serait bien insuffisant : seul un contre-courant aux vagues plus nombreuses et puissantes peut changer la direction du navire humain actuellement tiré vers le fond.

Le ruissellement solidaire et écologique 

Les enseignements audiovisuels et les textes que j’ai parcourus durant ma retraite m’ont remis en contact avec des personnes qui constituent de réelles vagues fortes et pertinentes, pour recomposer notre sol terrestre, nos fonds marins et nos écosystèmes humains. L’enseignante principale, que j’ai écoutée avec joie et dont j’ai lu et relu plusieurs livres au fil des ans, n’est qu’un exemple parmi plusieurs personnes qui donnent littéralement leur vie à comprendre, incarner et transmettre les chemins menant à plus de bien-être et moins d’insatisfaction. Je sais bien que ces leaders d’un contre-courant solidaire et écologique disent qu’en se donnant ainsi, ils trouvent amplement leur compte. Plusieurs placent même tous les profits des programmes enseignés dans des organismes d’aide aux démunis ou à l’environnement. Tout de même, il faut le faire !

Par-dessus le marché, tous ces enseignements bénéficient à des milliers de personnes qui, je suppose, se situent aussi sur un chemin de générosité, puisque le cœur de ces enseignements parle d’amour, de compassion et d’interdépendance. Qui sait ce qu’un nombre aussi imposant de vagues peut être en train de former comme contre-courant de fond… un courant qui pousse dans le sens d’un changement profitable à tout le monde ! 😊 D’ailleurs, même à la surface ou sur la place publique, il y a de plus en plus de personnes et d’entreprises qui se caractérisent par des façons de faire équitables et écologiques.

Les vagues. Auguste Renoir, 1879.

Malgré la destruction flagrante de la nature jumelée à l’exploitation, sans cesse croissante et éhontée, d’une vaste majorité d’humains, il y a aussi de multiples avancées dans le sens de la solidarité et de l’écologie. Et toutes ces activités valent bien qu’on s’en réjouisse, surtout que de marcher à contre-courant est toujours moins confortable.

Cela dit, je ne perds pas de vue l’importance de grands projets, comme celui de Béatrice, qui pourraient nous faire faire plusieurs pas de géant. Tous ceux et celles qui se retrouvent, chaque jour, sous l’eau à chercher leur air, ou à ne plus en avoir, le méritent bien, je crois.

Un géant sur la place publique. Photo : Benoît Guérin, 2017.

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4 commentaires à propos de “34. Retraite santé et vertiges d’avenir”

  1. WoW Benoit… et j’hésite toujours à dire WoW devenu tellement banal aujourd’hui… Quel texte ! Première lecture matinale qui donnera le ton à ma journée. À la parution de ton prochain chapitre il faudra que je résiste à la tentation de le lire tout de suite pour attendre l’ouverture de mon esprit encore engourdi de sommeil…je me suis intéressée autant au sauvetage de ta mouche qu’à la complexité du corps humain. Tout ton texte est imprégné de la philosophie du yoga, que je pratique moi aussi d’ailleurs, et qui nous aide à cheminer dans le lâcher-prise des opinions tranchées avec tout ce que cela remue, pour mieux s’attaquer à ce qui a vraiment de l’importance avec toute la détermination du guerrier pacifique. Je vais partager cette chronique Benoit en espérant qu’au moins une personne en prenne connaissance pour la partager à son tour… Je te souhaite une bonne journée et merci pour ces pensées justes, paroles justes, actions justes…Namaste.

    • Allô Francine!
      Merci pour tous ces bons mots. Je crois que je vais faire le plein pour les jours d’hiver! 🙂 … …
      Nous sommes bien chanceux d’avoir accès aux enseignements et pratiques qui permettent d’accroître la satisfaction de vivre, n’est-ce pas?
      Cela n’élimine pas les défis qui se présentent régulièrement, mais c’est tellement appréciable de connaitre quelques moyens habiles pour les rencontrer avec plus de bonheur ou moins de malheur!… …
      Au plaisir et à bientôt j’espère Francine! 🙂

  2. Bonjour Benoît. J’aime bien la perspective de danser avec la réalité et de contribuer à améliorer les choses à petite échelle. Dans la visée de l’expérience de silence que tu viens de vivre dans le chalet où tu t’étais retiré, la prochaine question qui sera soumise aux jeunes qui se présenteront au local Fougère le lundi 9 décembre prochain est la suivante: en quoi est-ce que le silence me permet de méditer sur ma vie courante ? J’ai hâte de voir ce qui sera partagé dans la visée de cette question convenue lors de la précédente rencontre. En animant ce genre d’atelier, j’essaie de faire ma petite part, à petite échelle, pour améliorer les choses. Au plaisir !

    • Salut François,
      C’est une question fort pertinente qui est choisie pour l’atelier à venir. Elle me semble très fertile quant aux possibilités de réponses et discussions qu’elle peut engendrer. J’espère que cette impression se confirmera lors du déploiement de la rencontre du 9 décembre prochain. J’aimerais bien en avoir un peu de nouvelles, si ça t’adonne…
      Bonne journée et au plaisir mon ami! 🙂

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