40. Tueries, tolérance et arts


En fin d’après-midi, j’ai rendez-vous avec Béatrice. Il y a bien longtemps qu’on ne s’est vu ! C’est toujours agréable d’échanger avec elle concernant La fin des milliardaires et je me souviens encore de propos très inspirants qui ont émergé de nos dernières discussions.

Ce matin, j’ai croisé Réal près de chez nous et nous avons jasé un peu, dans la froideur ensoleillée du petit matin. La retraite du travail lui va toujours aussi bien ! Il m’a parlé de sa collaboration au projet de Béatrice où il s’occupe des aspects logistiques de la planification. Le langage spécialisé utilisé pour m’expliquer son implication m’a fait réaliser à quel point il s’agit d’un milieu et de médiums de communication que je ne connais pas. Le sujet et la mission de cette émission multiplateforme ont beau me tenir à cœur et m’être familiers, le véhicule qu’ils empruntent m’est pour ainsi dire étranger.

Georges Méliès dans son studio de production à Montreuil, 1900.

J’ai invité Gabriel à se joindre à nous pour la rencontre d’aujourd’hui. Il m’avait manifesté son intérêt et Béatrice était bien ouverte à l’idée. Ce ménage à trois, un peu incongru, m’intrigue. En fait, je ressens comme un mélange émotionnel assez classique dans ce genre de situation : une pincée d’énervement et une autre d’excitation ! Asseoir à une même table ce grand ami si spontané et cette estimée complice de projet est une situation plutôt improbable et surtout, imprévisible…

Du souci du bien-être des autres

J’arrive au café une bonne demi-heure d’avance. J’enligne une table, près de la fenêtre, et je m’y dirige tête baissée. J’entends : « Hé ! Dans le nuage, y’a quelqu’un ? » Je relève la tête et j’aperçois Béatrice, deux tables plus loin, un livre dans les mains et un grand sourire aux lèvres.

Elle est arrivée encore plus tôt que moi avec l’idée de lire un peu avant notre rencontre. Évidemment, nous modifions nos plans et nous nous attablons en s’enquérant, de part et d’autre, de nos états d’âme et des aléas de la journée derrière nous. Nous échangeons sur nos derniers mois d’activité. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, alors nous prenons le temps de partager tout cela. Puis, nous nous accrochons un peu les pieds dans l’actualité.

Chez nous, on vient de commémorer un très triste événement : une tuerie, comme il s’en passe malheureusement tant d’autres dans le monde… ☹ Un acte de haine et d’intolérance extrême. Un rejet absolu de la différence, quitte à tuer des gens. Quitte à détruire sa propre vie ou à en mourir. Quitte à détruire aussi, dans le ressac de cet acte de terreur, la vie de tant de blessés graves ou de conjoints, amis et enfants endeuillés. Quitte à ébranler aussi la quiétude relative de milliers ou de millions de personnes, auparavant plus confiantes en la tolérance du monde ! ☹

Béatrice me confie avoir étendu un peu le panorama du projet de La fin des milliardaires pour y inclure aussi des considérations sous-jacentes à ce type d’événements : « Ce genre d’événements — désormais malheureusement très réguliers dans le monde — fait ressortir l’importance de s’occuper aussi des causes de tels gestes. Pour envisager la solidarité humaine, il faut veiller à distribuer plus équitablement les ressources, mais aussi accroitre la tolérance envers les croyances et comportements différents des nôtres… »

Portrait de Martin Luther King. Murale de DDC_8691 (Flickr).

« Tu veux vraiment intégrer ce vaste thème à ton projet ? dis-je, il s’agit d’un territoire corsé, il n’y a pas beaucoup de sujets qui suscitent autant de controverse en ce moment ! »

« En effet, poursuit Béatrice, mais en même temps, après discussion avec les gens autour, j’ai l’impression que le sujet est incontournable, si l’on veut établir une solidarité à l’échelle d’une humanité unifiée. Il faut avoir le souci du bien-être des autres pour envisager de partager avec eux. La tolérance des idées ou croyances des autres constitue le seuil minimal de sollicitude pour agir solidairement, non ? »

« Oui, oui, que je réponds, ça me semble évident, mais… comment comptes-tu aborder cela ? »

« Les formes interrogative et exploratoire semblent s’imposer, dit-elle, afin d’éviter le piège des certitudes qui figent les positionnements dans des élans irréversibles. On pourrait simplement chercher à faire le tour des positions des croyants et non-croyants concernant les idées des autres. On pourrait s’interroger concernant les façons d’assurer la tolérance à propos des points de vue des autres. La sagesse des éventuels chroniqueurs ou chroniqueuses sera importante et c’est un défi, car il ne s’agit pas d’une compétence prescrite par les programmes d’études ! »

Je souris à cette dernière réflexion tout en opinant du bonnet… Je conclus : « Je salue une fois de plus ton audace et la justesse de ton point de vue ! J’ai aussi l’impression qu’il s’agit d’une avenue fertile et incontournable. »

Tolerance. Anfachen award 2017.

La place belle aux arts

Nous continuons à siroter nos cafés tout en poursuivant la conversation sur des sujets plus légers, mais non moins intéressants. Entre autres, nous discutons de l’importance des arts dans nos vies personnelles, mais aussi pour la société et l’environnement. Les grands sujets de l’heure se dessinent parfois en précurseurs à travers les chansons, la littérature, l’art visuel, le théâtre et d’autres médiums. Béatrice m’explique quelques pistes de travail envisagées pour enchâsser de telles manifestations artistiques dans l’émission multiplateforme. Il me semble que le projet, jusqu’alors plus monochrome, s’illumine tout en couleurs ! 😊

Cette discussion ravive chez moi un souvenir assez lointain que je partage avec Béatrice : « Il y a très longtemps, dans une période difficile de ma vie, j’ai eu la chance de renouer avec le dessin et la peinture. J’avais, comme des milliers d’autres personnes j’imagine, complètement laissé tomber tout cela en bas âge, persuadé que j’étais que mon manque de talent naturel dans ce domaine imposait cet abandon. Quelle erreur désolante !…

Dans son jardin. Photo : Dorothée S. et B. Guérin, 2015 et 2018.

Pas besoin d’être bon pour jouir à fond de la création artistique, suffit d’y mettre le temps et de persévérer. Et je me souviens en particulier d’un grand moment d’extase que j’ai vécu en voyant surgir les traits inachevés — mais tellement vivants ! — du visage d’une personne que je peignais… J’étais touché. Très touché en apercevant la vie apparue ainsi, au bout de mon pinceau. Mon pinceau à moi, qui n’est pas plus peintre que la pluie ! 😊 »

La fontaine Saint-Julien-le-Pauvre (détail). Georges Jeanclos, 1991. Photo : Benoît Guérin, 2019.

Le temps s’est arrêté et dans cet espace figé où Béatrice apparaît en transparence, je songe à Gabriel qui devrait bientôt se joindre à nous…

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2 commentaires à propos de “40. Tueries, tolérance et arts”

  1. Bonsoir Benoit. Depuis ce jeudi 30 janvier 2020, Pierrette et moi sommes rendus dans un condo loué à Riviera Beach en Floride. Nous devrions y passer le mois de février 2020. En ce vendredi soir 31 janvier 2020, il pleut; ce qui est assez inhabituel en Floride au début de février. Pierrette est sur son piano pliable et y pratique ses pièces musicales, notamment celles qu’elle a apprises avec Gregory Charles (année 3). Pour ma part, je gère mes courriels à l’aide de l’ordinateur portable de Pierrette. C’est ainsi que j’ai pu lire ton 40e article et y donner suite en t’écrivant le bref commentaire que voici. Je trouve la tolérance primordiale dans un monde complexe comme le nôtre, car nous sommes amenés à vivre ensemble avec nos idées et nos croyances différentes. Nous pouvons beaucoup apprendre de personnes qui sont différentes. J’expérimente cet apprentissage avec le café-causerie que je vis chaque mois avec sept autres personnes, issues du monde de l’éducation et des groupes communautaires. Au plaisir !

    • Salut François,
      Je suis bien content pour Pierrette et toi! 🙂 J’espère que la température sera agréable et que vous pourrez profiter largement de votre mois de février en Floride…
      Quant à la diversité, je crois aussi qu’on peut beaucoup apprendre au contact des gens différents (et de la nature, en général). En fait, je crois qu’on en apprend beaucoup sur « nous-mêmes », car nous sommes intimement interreliés. En y regardant de plus près, il semble même que l’on soit littéralement lié comme un seul corps où les transformations et les échanges sont continuels! 🙂
      Je te laisse d’ailleurs sur une citation d’Albert Einstein qui pointe dans la même direction : « Un être humain fait partie d’un tout que nous appelons ‘‘l’Univers’’; il demeure limité dans le temps et dans l’espace. Il fait l’expérience de son être, de ses pensées et de ses sensations comme étant séparés du reste – une sorte d’illusion d’optique de sa conscience. Cette illusion est pour nous une prison, nous restreignant à nos désirs personnels et à une affection réservée à nos proches. Notre tâche est de nous libérer de cette prison en élargissant le cercle de notre compassion afin qu’il embrasse tous les êtres vivants et la nature entière dans sa splendeur. »
      À bientôt mon ami! 🙂

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