6. L’amour de la nature


L’amour, ce sentiment tellement agréable ! Aimer sa blonde ou son chum ; aimer sa famille ou ses amis ; aimer son chat ou son chien ; aimer les fleurs, les oiseaux ou les arbres… Aimer, comme c’est formidable !

L’élan amoureux envers les animaux est fréquemment encore plus instantané qu’avec les gens et c’est encore plus vrai lorsqu’on rencontre une fleur qui nous plait. Paf ! On est en amour. On sourit et nous yeux s’illuminent. On la regarde intensément. On s’approche. On la sent. Pas de filtre, juste de l’amour !

Au surplus, lorsqu’on est en amour, nous sommes souvent habités de ce sentiment délectable même lorsque l’autre n’est pas là. Et c’est vrai pour les personnes comme pour tout ce qu’on aime.

Le mariage de psyché et de l’amour. François Boucher, 1744.

Depuis toujours, j’aime la forêt, les lacs, les rivières et les animaux. Pendant longtemps, toutefois, je crois que tout cela a été largement accessoire à ma quête de bonheur. Je devais d’abord apprendre à aimer les autres humains et, surtout, à m’aimer.

Ensuite, graduellement, j’ai plus apprécié les rencontres avec la multitude des autres présences autour et même les insectes piqueurs  ont commencé à m’intriguer au lieu de m’énerver…

La nature

J’ai largement parlé de mon amour des animaux dans la quatrième partie de cette série de publications. Et j’ai beaucoup écrit aussi concernant mes relations aux autres humains. Je vais maintenant élargir ce panorama pour vous parler plus particulièrement de mes autres amours : les arbres, les fleurs, les lacs, le ciel, les roches, etc. Dans cette chronique, j’appelle cela la nature.

Splendeur nature. Photo : Benoît Guérin, 2020.

Avec les animaux et les humains, les échanges sont plus complexes. Ils peuvent être très agréables, mais aussi… assez désagréables ! Les gens peuvent parfois vous agresser et un chien pourrait bien vous mordre, mais un arbre ou une fleur ne pose pas ce genre de problème.

Évidemment, la connivence avec les humains et les animaux peut parfois procurer un bien-être très intense et l’absence de ces types de relations peut donner l’impression qu’il manque quelque chose dans notre vie. Mais nos échanges avec la nature, quoique peut-être plus subtils ou nuancés, peuvent aussi s’avérer une grande source de bonheur.

Dans la Sierra Nevada. Albert Bierstadt, 1868.

En retraite

Je me souviens d’une grande période de retraite de méditation. J’y ai vécu de longues journées assez mouvementées, entre autres, par le tumulte de mes pensées concernant mes relations avec mes proches. Puis, graduellement, il s’est installé un sentiment de bien-être passablement complet et stable — juste avec la nature — telle qu’elle se présentait : le vent dans les feuilles, le vrombissement du ruisseau torrentiel à proximité, la chaleur sur ma peau et le souffle dans mon corps…

Au fond, les problèmes semblent surtout se situer dans cette tendance à ruminer les pensées autour de mes relations complexes, surtout avec les autres personnes : pourquoi a-t-il fait cela ? Comment devrais-je agir à l’avenir avec elle ? Et toutes ces autres façons de ressasser le passé pour le prolonger ou parce qu’il nous a dérangés… ou de ruminer les multiples scénarios d’avenir pour les favoriser ou les éviter…

Mais comme ce n’est pas évident de vivre sans nos proches, peut-être qu’une solution possible est d’augmenter la portion de temps en relation avec la nature… simplement : marcher en observant la nature autour, juste respirer et être attentif aux sensations du corps, s’asseoir dans le vent et écouter les feuilles bruissant dans les arbres qui se balancent, se laisser bercer par le crissement de la neige sous nos pas…

Parc Jarry, janvier 2020. Photo : Benoît Guérin.

Enrichir la nature

Un autre de mes plaisirs consiste à enrichir la nature qui m’entoure en y ajoutant des arbres, des arbustes ou des plantes.

Il y a une vingtaine d’années, j’ai obtenu le privilège d’avoir accès à de petits bouts de terrains autour d’un logement acheté en copropriété. Pour la première fois depuis l’enfance, je retrouvais la possibilité de mettre les mains dans de la terre autour de chez nous. J’ai eu beaucoup de plaisir à sélectionner des végétaux, m’informer sur leurs caractéristiques, préparer le sol et les planter, puis les arroser le temps de l’implantation.

J’ai rapidement élargi mon terrain de jeux horticole à la plate-bande du bord de rue appartenant à la ville. J’y ai entre autres planté un chêne (comme dans la chanson de Vigneault https://www.youtube.com/watch?v=We1-cagx7TI) et un buisson d’amélanchier, afin d’avoir accès à ses délicieuses baies printanières. J’ai aussi transplanté un petit bouleau à papier et une petite épinette provenant d’un terrain à proximité du chalet de mes beaux-parents, afin de raviver un peu, au quotidien, cette présence familiale dans la belle nature.

J’ai même planté quelques arbres et arbustes dans de petites plates-bandes chauves des alentours : un pin blanc, des micocouliers, un amélanchier et des berbéris, entre autres. Suite à ces plantations, j’ai appelé l’arboricultrice de la ville pour discuter de l’entretien et de la pérennité de mes aménagements sur les terrains publics. Je savais bien que mes initiatives n’étaient pas tout à fait légales, mais elles me semblaient largement légitimes. Ajouter de la nature en ville dans des endroits vacants est tout de même une priorité de la ville, en général. Ma discussion avec l’arboricultrice municipale a d’ailleurs confirmé mes impressions. Évidemment, elle n’était pas en position pour encourager mes démarches, mais elle a noté les contenus des aménagements, afin de les inclure dans ses planifications, sans toutefois garantir quoi que ce soit concernant la continuité. Tous ces végétaux appartiennent désormais à la ville et j’en conviens parfaitement.

Une dizaine d’années ont maintenant passé depuis mes premières plantations dans des terrains publics. La plupart des arbres plantés sont toujours présents dans les plates-bandes et ont grandi en beauté ! Quant aux arbustes et plantes vivaces, de nombreux changements ont eu lieu au fil des ans, mais ils continuent d’agrémenter ces paysages.

Ci-dessous: Printemps devant la maison. Photo : Benoît Guérin, 2017-2019.

Depuis quelques années, nous avons la chance d’avoir accès à un grand sous-bois de part et d’autre de notre chalet. Nous avons transplanté de nombreux arbres, quelques arbustes et des vivaces, afin d’augmenter le couvert végétal. Puisque nous avons le privilège d’être situés au bord d’un lac, nous essayons aussi d’enrichir graduellement la bande riveraine de quelques plantations.

En amour avec des géants !

Évidemment, je ne peux pas parler de mon amour de la nature sans évoquer ma grande tendresse pour les séquoias géants (Sequoiadendron giganteum), et ce même si j’ai déjà parlé de cet amour-là dans d’autres chroniques.

Lors de mes dernières années d’enseignement, j’ai fait de plus en plus de place à l’environnement. Le contexte des bouleversements climatiques et de la disparition accélérée des espèces d’êtres vivants était de plus en plus urgent à approfondir avec mes élèves.

Il me semblait important d’explorer tout autant les problématiques que toutes les merveilles de la nature qui sont en péril et qui valent largement la peine de préserver. Depuis plusieurs années déjà, j’utilisais le magnifique reportage Conteur d’étoiles dans lequel Hubert Reeves nous fait part de son amour du cosmos et de la nature. Dans un passage du documentaire, Hubert Reeves nous présente les plantations qu’il a faites au fil des ans sur le terrain de son domaine, en France. Il montre, entre autres, de magnifiques séquoias géants qu’il a plantés et qui sont maintenant de belle stature. Il explique qu’il s’agit, à maturité, du plus gros être vivant sur terre. Il parle de ses plantations avec amour. Il explique combien il aime les accompagner et les regarder grandir tout en étant bien conscient qu’ils vivront encore très longtemps après lui.

J’ai revisité à maintes reprises ce reportage extraordinaire où le propos scientifique le plus rigoureux est indissociable de la candeur amoureuse de l’enfance de cet astrophysicien environnementaliste hors proportion qu’est Hubert Reeves. Je crois bien que c’est là que je suis d’abord tombé amoureux des séquoias géants.

Lien vers le reportage Conteur d’étoiles d’Hubert Reeves

Pyramide de la complexité. Hubert Reeves, apr. 1985. (Wikimedia Commons)

J’ai ensuite visionné et lu de nombreux reportages sur ces arbres mythiques. Un moment donné, j’ai eu envie d’essayer d’en planter, un peu comme Hubert Reeves l’avait fait. J’ai cherché à me procurer de petits séquoias dans les pépinières, mais ils y étaient absents. Ces arbres poussent habituellement dans des régions un peu plus chaudes que Montréal, mais avec l’actuel réchauffement climatique nos températures se rapprochent de celles qu’ils affectionnent.

J’ai bien conscience que les températures de mon milieu de vie sont un peu froides pour l’implantation de tels arbres et que ceux-ci, s’ils survivaient, resteraient possiblement plus petits. Mais de toute façon, j’avais très envie d’au moins expérimenter cela. J’ai alors trouvé la possibilité d’acheter en ligne des graines de séquoias géants provenant de grands parcs américains où vivent les plus vieux et plus gros spécimens. Comme ce n’était pas très dispendieux, j’ai décidé de me lancer, et ce même si je n’y connaissais rien en plantation à partir de graines.

Lien vers un court reportage (3 min 53 s) sur les effets bénéfiques de la présence et la plantation des séquoias géants.

J’ai eu un certain succès avec mes petites pousses de séquoias et j’ai aussi rencontré rapidement de bons défis. Par exemple, les séquoias supportent très mal le chauffage à l’intérieur des maisons l’hiver et avant de les placer en pleine terre, ils doivent avoir établi un système racinaire assez développé. Le premier hiver a donc eu raison de tous les petits séquoias qui s’étaient bien développés au cours du premier été sur la galerie côté soleil. J’ai tout de même recommencé avec de nouvelles graines le printemps suivant, car ma blonde avait eu une idée prometteuse.

Pousses de séquoias. Photo : Benoît Guérin, 2016.

Le deuxième hiver, les séquoias ont donc été placés entre les fenêtres doubles, là où la fraicheur est passablement plus grande et stable qu’à l’intérieur de la maison. Résultat : plusieurs jeunes séquoias ont survécu et l’expérience a connu un nouveau souffle.

Ci-dessous: Petits séquoias géants. Photo : Benoît Guérin, 2017.

Depuis, au fil des ans, quelques séquoias ont passé l’hiver en terre avec succès. Évidemment, je les place toujours à des endroits où ils pourraient grossir agréablement, si jamais c’était le cas. Pour le moment, un seul a grandi à Montréal dans la cour arrière chez mes parents. Quelques années durant et il a eu de bonnes poussées de croissance pour atteindre plus de quatre pieds de hauteur. Malheureusement, il est mort l’an dernier. Le dur hiver a eu raison de lui. Dans mon petit examen post mortem, j’ai établi l’hypothèse qu’il vaudrait mieux, à l’avenir, ne pas placer les séquoias sous des cônes protecteurs durant les premières années de croissance, afin qu’ils s’acclimatent le mieux possible à nos hivers.

Séquoia géant et mon père. Photo : Benoît Guérin, 2019.
Séquoia chez mes parents. Photo : Benoît Guérin, 2021.

Notre chalet est bien au nord de Montréal et la température y est zonée 4. Pourtant, j’ai déjà quelques spécimens qui ont passé des hivers sans autre protection qu’un bon paillage de feuilles à leurs pieds. J’en profite pour spécifier que l’un d’eux en est à son troisième hiver. Il est très vigoureux, il a fière allure, mais… il grandit très lentement. Je dirais qu’il fait encore tout juste 18 pouces de hauteur !

Mes nouveaux amours : les pruches

À notre arrivée au chalet, il y a quelques années, ce sont de très grandes pruches qui ont attiré mon attention. Je connaissais très peu ce conifère et j’ai été séduit par son allure élégante. Ses aiguilles sont très courtes et douces au toucher. Ses branches s’étendent avec des allures variées et se prolongent tout en souplesse en vieillissant…

Les pruches grandissent bien dans nos sous-bois souvent ombragés en compagnie des hêtres, des bouleaux jaunes, des thuyas, des érables rouges, des sapins et des épinettes.

Petite pruche entre les thuyas. Photo : Benoît Guérin, décembre 2022.

Autour du chalet, certaines pruches font entre 15 et 20 mètres de haut. Leurs longues branches s’étendent tout autour en donnant à ses arbres une envergure d’une dizaine de mètres de large. Il s’agit d’un des arbres qui vit le plus vieux au Québec. La majorité des conifères du Québec ont une moyenne d’âge maximal autour de 150 ans, mais les pruches et les cèdres du Canada (thuyas occidentalis), peuvent vivre jusqu’à 700 ans.

Grandes pruches dans le sous-bois. Photo – Benoît Guérin, 2022

L’écorce de la pruche me fait beaucoup penser à celle du séquoia géant. Avec l’âge, elle devient rougeâtre et marquée de sillons profonds formant de larges plaques qui sont assez douces au toucher.

Il s’agit de mon tout dernier grand coup de cœur concernant les arbres, mais je les aime pratiquement tous autant qu’ils sont ! Dans les sous-bois attenants au chalet, il y a aussi de magnifiques érables de Pennsylvanie dont l’écorce lisse des jeunes spécimens est parcourue de lignes fines et sinueuses. Et un peu partout dans les alentours, nous rencontrons de nombreux peupliers aux feuilles ballottantes et frémissantes que nous les apprécions particulièrement. Nous en avons transplanté quelques jeunes spécimens autour du chalet.

Ce printemps, une forte tempête (derecho) a fouetté le paysage de la région autour du chalet. Une énorme pruche s’est affalée de tout son long dans le sous-bois à l’ouest du chalet. Auparavant cet endroit était très sombre, toute l’année. Une toute nouvelle clairière a fait son apparition et le soleil traverse maintenant allègrement le sous-bois. Nous en avons profité pour favoriser la transplantation de feuillus ou de mélèze (seul conifère perdant ses aiguilles l’hiver) dans ce nouvel espace. Cette métamorphose forestière, orchestrée tout en respect des variétés indigènes, devrait continuer d’apporter l’ombre salvatrice lors des chaleurs d’été tout en laissant le soleil éclairer et chauffer un peu plus notre demeure l’hiver, après la chute des feuilles et celle des aiguilles des mélèzes.

Grande pruche terrassée par le derecho – Sous-bois du chalet. Photo : Benoît Guérin, mai 2022.

Aux portes de l’hiver, cette année, nous avons planté un chêne rouge dans notre nouvelle clairière. Et de l’autre côté du chalet, à bonne distance de la bâtisse, dans un endroit continuellement très humide, nous avons planté un saule pleureur. Nous adorons cet arbre blond avec sa multitude de branches retombantes qui balancent doucement au vent tout l’été durant. Je me souviens d’un immense saule pleureur qui trônait tout au fond de la grande cour entourée de framboisiers chez ma grand-mère à Napierville. Déjà, il avait su m’enjôler ce grand blond monumental et indolent…

Baigneuses dans le lac d’Annecy au saule des Marquisats. Firmin Salabert, 1868.

 

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