37. Passage boréal : décès, dérape et constellation en poudrerie fine


Mon ami qui était en maison de soins palliatifs est décédé. Sa compagne a écrit un bref courriel destiné à leurs nombreux proches et amis. Elle doit être bien seule, en ce moment… …

Dehors, la température est plutôt douce, mais un froid soutenu s’est installé en moi. La saison qui succède à la vie est bien aussi imposante que l’hiver ! Assis dans notre salon, mon latté bien chaud accompagne la froidure stoïque qui m’habite bien plus qu’il ne la réchauffe…

J’arrive au bout de l’année et je me sens comme sur un plateau, en haut d’une montagne enneigée. Mon ami est tout juste décédé et le vent balaie l’horizon en un paysage figé, au-delà des aiguilles du temps. Est-il seulement disparu ou… réapparu quelque part ? Et s’il existe toujours, au-delà de la mort de son corps, est-il autour ou ailleurs ? Et surtout, trouve-t-il la paix dans un tel changement de contexte ?… Et qu’en est-il pour sa conjointe — de très longue date —, encore ici et, pourtant, probablement beaucoup ailleurs ?…

Mystère et stupeur distillent subtilement la tristesse et l’amour, dans ce contexte — saisissant. Depuis hier soir, je suis souvent bouche bée, comme interpellé entièrement par la vie ou… par la mort…

Mystère et stupeur. Photo : Benoît Guérin, 2017.

Ce midi, ma blonde et moi recevons Gabriel à dîner. J’avais perdu contact avec lui depuis quelque temps. La semaine passée, j’ai fini par recevoir un court message Facebook où il me disait vivre des moments très difficiles. Décidément, cette petite tranche de vie dans l’air polaire me laisse sans mots et dérouté. Juste — là —, les sens grands ouverts. Témoin immobile, j’entends, je vois, je perçois la chaleur, le froid, les pensées, les mouvements et sensations internes, les odeurs… Ouvert comme la forêt, au vent qui souffle…

Échelles et serpents

La rencontre avec Gabriel a été fort agréable. La connivence était palpable au moment où Gabriel a partagé avec nous sa dernière tranche de vie, très difficile, de laquelle il émerge graduellement : perte d’emploi, dérape de consommation, maladie à soigner, finances à sec, etc. « Encore un de ces serpents ! » disait-il, comme dans le jeu de serpents et échelles, auquel on jouait lorsqu’on était enfants. Encore cette impression, de monter lentement la pente d’une vie plus équilibrée et satisfaisante puis, soudainement, la dégringolade abrupte qui ramène quelque part passablement plus bas, sur la planche de jeu.

Jeu d’échelles et serpents (1967).

Heureusement, Gabriel connait les chemins qui permettent de remonter plus facilement la pente et il les emprunte volontiers : thérapies, méditation, entraide, aide alimentaire et autres services communautaires gratuits.

Il s’est retroussé les manches et a déjà mis en place les moyens qu’il faut pour retrouver la santé physique et éviter le plus possible de prochaines débarques. Il pourra fort probablement retourner travailler dans le domaine de la santé, car la demande est grande actuellement. Et même en profiter, disait-il, pour trouver un emploi plus proche de ses forces et affinités : la proximité avec les gens, l’empathie, la compassion et l’accompagnement.

Je suis encore éberlué devant les tournants de la vie qui peuvent être tellement puissants, et ce tout autant pour nous attirer vers d’obscures profondeurs que pour nous soulever vers les plus hautes avenues de réalisation !… 😐

Décalage générationnel

Le mois de décembre se termine au fil de températures plutôt clémentes. La neige blanche s’installe lentement autour des avenues grisâtres comme un baume dans l’hiver urbain… Il n’y a pas de smog et l’air est bon à respirer… J’en profite pour marcher, volontairement soumis à la lumière vive reflétée sur la neige…

Chemin derrière Mowat Lodge. Tom Thomson, 1917.

Je m’arrête dans un café. Je relis une page de notes écrites à la volée, au petit matin d’une journée de l’actuel temps des Fêtes. Elles forment un genre de constellation un peu hirsute que je défriche dans un mélange d’amusement, de doute et d’intérêt…

J’avais nommé un des éléments de la constellation d’idées, le déclencheur. Il s’agit d’un article de journal où la chroniqueuse discute de la nouvelle génération Z qui atteindra, dans la prochaine année, l’âge de la majorité et la position d’influence sociale correspondante. Elle dépeint en parallèle les différentes générations auxquelles on fait régulièrement allusion. Dans le tableau brossé, je me retrouve dans la génération X, tout juste après celle des baby-boomers.

En lisant les définitions données de chacune des générations, je ne me reconnais pas du tout dans celle des X décrite comme « la génération des anxieux limite pessimistes ». Je crois que je me suis toujours senti comme un orphelin des boomers. Un orphelin du peace and love, en particulier. Un peu trahi par cette génération aux grandes idées, mais dont la majorité semblait avoir finalement statué, quelque part dans les années 70, que c’en était assez du « rêve » d’un monde unifié et près de la nature. L’heure du repli dans les terres empoussiérées de nos vielles façons de faire avait sonné et il ne me restait plus qu’à ramer à contre sens en me disant que ça n’avait pas de bon sens ! Et que seul le rêve pouvait servir de terreau à une vie satisfaisante pour tous…

Jimi Hendrix. Stuart Hampton, Royaume-Uni.

J’ai donc fait mon petit bonhomme de chemin, dans le paysage de décrépitudes sociales et saccages environnementaux légués en fatalité. Témoin et acteur de ces bouleversements, j’ai valsé entre dérives personnelles et résistance de rêveur-activiste entêté, faufilé entre les mailles du filet conservateur éméché. Dans mes emplois ou dans les ilots de résistance que constituent les organismes humanitaires et environnementaux, j’ai travaillé autant que possible à améliorer la vie des plus démunis et la santé de la nature.

Malgré l’air du temps au néolibéralisme, le parfum des grands rêves d’antan a persisté et s’est précisé : travailler à mettre en place un courant dominant où l’amour, la paix et l’écologie dominent. Un monde où il fait bon vivre, où l’on peut mourir plus paisiblement, avec le sentiment d’une vie bien vécue et satisfaisante. Quand on est satisfait, il me semble qu’on est moins porté à en redemander.

Coup d’œil de l’autre côté du miroir

Le prochain élément dans la constellation d’idées jetée sur papier, au cœur du temps des Fêtes, concerne Alice. J’ai terminé la lecture du deuxième livre d’Alice : De l’autre côté du miroir. Les différences entre les livres de Lewis Carroll et les films de Tim Burton m’ont de nouveau intrigué. Une recherche Internet m’a permis de préciser la situation et une critique comparative a attiré particulièrement mon attention.

Alice au pays des merveilles. Illustration John Tenniel.

L’auteur y critiquait les films de Tim Burton qu’il disait ne pas respecter l’esprit des romans de Carroll. Je suis d’accord avec le constat des différences, mais celles-ci ne m’apparaissent pas problématiques. On retrouve, dans les films de Tim Burton, une Alice un peu différente, mais… c’est naturel, puisqu’elle a vieilli ! Quant au pays des merveilles, c’est vrai qu’il s’articule assez différemment. Et pourquoi pas ? Pour ma part, j’ai préféré les films, mais j’ai aussi apprécié la lecture des romans qui a été une balade surprenante et enrichissante vers la source de l’histoire…

Changer d’année c’est un peu comme traverser de l’autre côté du miroir. Un nouveau panorama se profile entre les rétrospectives et les résolutions : terra incognita, comme un vertige d’ouverture sur tous les possibles… Je m’y glisse en ayant en tête deux avenues dont le tracé à venir m’intrigue : mes démarches collaboratives avec Béatrice concernant La fin des milliardaires et mes projets plus personnels comme celui du MAPES Monde. J’ai l’impression que ces projets s’acheminent vers un changement de cap, mais lequel ? Mise en veilleuse de l’un et relance de l’autre ? Métamorphose de l’un ou de l’autre ? Ouverture de nouvelles avenues ?…

Les boulevards de Paris le jour de l’an. Just L’Hernault, 1862.

 

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6 commentaires à propos de “37. Passage boréal : décès, dérape et constellation en poudrerie fine”

  1. Bonne année Benoît!

    J’aime toujours tes articles, ceux-ci me font réfléchir à toute sorte de chose. J’ai bien aimé les commentaires sur le jeux des échelles et serpents. Je trouve la comparaison aux échecs de la vie et aux buts atteints se transportent bien à ce jeux.

    De plus, j’apprécie beaucoup les tableaux, photos et autres qui sont toujours bien choisis pour compléter tes textes.

    Alors, sur ce, je te souhaite une bonne année et surtout de la santé puisqu’à chaque jour je constate combien les gens sont malades car je travaille dans le milieu de la santé. Je remercie le bon Dieu à chaque jour de m’accorder la santé.

    A+

  2. Je t’offre mes condoléances pour l’ami qui est décédé récemment. Je partage en partie tes questions relatives à l’après-vie, tout en faisant le pari de Pascal. Je crois qu’il y a une vie renouvelée après la fin de la vie présente. Cette croyance m’aide à vivre mon présent et à accepter mes pertes physiques qui m’handicapent de plus en plus Si je perd mon pari, ce n’est pas grave; j’aurai vécu ma vie présente avec intensité et pleinement. Bonne nouvelle année 2020 et que tes vœux les plus sincères se réalisent.

    • Merci pour tes mots chaleureux François, je les apprécie!… …
      Quant au pari de Pascal, il s’agit en effet d’un choix à haut rendement et judicieux. Pour ma part, je ne suis pas très joueur, même pour un tel pari sans risque de perte ni mise de fonds (;). Je laisse les différentes hypothèses se côtoyer en tentant d’accommoder chacune de mon mieux…
      Je te souhaite aussi une année 2020 remplie de tout ce que tu aimerais!… …
      Et j’espère qu’on aménagera un petit repas d’échanges dans les premiers mois de la nouvelle année…
      À bientôt mon ami! 🙂

  3. Sincères sympathies pour la perte de ton ami qui vit sûrement en partie à travers toi en ce petit matin du nouvel an si lumineux… je me trouve tellement privilégiée d’avoir accès à tes écrits et de cheminer avec toi dans tous ces questionnements. Pour ma part je me sens ouverte comme la forêt au vent qui souffle devant cette année 2020, prête à tout accueillir puisque c’est déjà là, en chemin… cher Benoit, que le meilleur t’arrive, un meilleur que tu auras choisi depuis longtemps et que tu sauras reconnaître lorsqu’il se présentera.

    • Merci pour tes bons mots et tes souhaits pour la nouvelle année Francine ! J’apprécie…
      Et j’aime aussi beaucoup nos échanges autour du blogue et autrement.
      Je te souhaite une année 2020 remplie d’amour, de paix d’esprit, de joie et de santé. Et je te dis à bientôt et au plaisir! 🙂

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