Épilogue


L’an passé, à peu près au même moment où j’ai rencontré Béatrice, j’ai fait une longue retraite de méditation au chalet d’un ami. Pendant de telles retraites, j’interromps mes contacts avec les autres. Au beau milieu de cette retraite-là toutefois, ma réserve d’eau potable s’est avérée insuffisante et je suis allé au village pour m’en procurer. À mon retour en automobile, j’ai vécu un événement qui m’a particulièrement marqué ; la méditation a souvent pour effet d’ouvrir le cœur, dans un mélange de saveurs tristes-heureuses qui embrassent largement le spectre des émotions.

Au chalet. Photo : Benoît Guérin, 2017.

Petit oiseau

De retour au chalet, j’ai écrit un texte qui me semblait alors pouvoir constituer l’introduction de l’actuel récit. En le relisant, toutefois, j’ai décidé de le mettre de côté. En voici un extrait :

[…] Chaussée glissante, oiseau en vue. Il va s’envoler comme ils le font toujours… et… « poc! », le petit bruit fatidique sous la voiture, comme une tête d’oiseau qui aurait frappé quelque chose. Je suis sous le choc. Que faire ? J’écoute mon instinct et je prends le temps de retourner derrière pour voir ce qu’il en est. Je ne vais tout de même pas faire semblant. Si l’oiseau est là, très souffrant et gravement blessé, j’espère avoir au moins le courage d’achever sa vie pour éviter qu’il n’agonise interminablement. Je n’aime pas cela du tout, mais si cela s’avère, je lui dois au moins cela, me dis-je.

Arrivé sur place, je l’aperçois, je gare prudemment la voiture sur le côté et je m’approche. Il est bien là. La scène est sans équivoque : il y a des plumes partout. Je m’approche. Je tends la main avec courage. Va-t-il se mettre à convulser en des souffrances intolérables ?… Je le prends et… il est inerte, comme très endormi, avec ses petits yeux clos. Il semble être bien, mais… il est mort. J’improvise une solution de circonstance pour le traiter avec le plus de décence possible. Je le pose au creux d’un banc de neige, sur le côté de la route et je le recouvre délicatement de neige, simplement.

Oiseau mort. Eau-forte de Charles Pinet (1867-1932).

Je reprends la route, tant bien que mal, je suis presque à destination, dans ce chalet où je me ressource depuis près d’une semaine en prenant de l’air, en faisant de l’exercice et du yoga, mais surtout, en pratiquant la méditation. […] Je ne tarde pas à verser des larmes, témoignage de tout ce que l’événement me fait vivre comme questionnements et réflexions : l’oiseau était-il bel et bien mort au moins ? Il me semble que j’ai un peu précipité mes conclusions dans la stupeur du moment… Et de quelle espèce d’oiseau s’agissait-il, d’un merle peut-être ? J’aurais aimé au moins en savoir un peu plus sur lui… Et est-ce que j’aurais pu arrêter pour éviter l’accident, si j’avais mieux perçu mon intuition, si j’avais été plus attentif ?…

Je revois son apparence endormie et ses yeux clos. Il avait l’air paisible, au moins. Je vais essayer de le garder vivant dans mon souvenir pour honorer sa mémoire, et penser à ses proches, si ça se trouve… […]

Je me souviens. Photo : Benoît Guérin, 2018.

Où en est le projet ?

J’ai croisé Réal récemment et il m’a dit que Béatrice a mis en veilleuse son projet et qu’ils ont donc cessé leur collaboration, pour le moment. J’ai ensuite reçu un courriel de Béatrice où elle m’explique un peu plus en détail sa situation : un gros dossier de travail qui déborde sans cesse et ses parents qui ont besoin de beaucoup de support pour traverser une période très difficile. Elle est épuisée et doit lâcher du leste, mais elle espère pouvoir revenir le plus tôt possible à l’élaboration de La fin des milliardaires

Quelle tristesse, mais j’ose espérer que ce projet, ou d’autres semblables, continueront d’être élaborés quelque part dans le monde… De mon côté, je vais en profiter pour revoir les idées ou projets sur lesquels je veux travailler. Je n’ai cependant pas les compétences ou l’expérience pour diriger un grand projet dans le domaine des communications où œuvre Béatrice.

D’autres Alice travaillent-elles actuellement à échafauder des projets qui ressemblent à celui de Béatrice ? Y aura-t-il suffisamment de chapeliers fous, et d’autres personnages du genre, pour inspirer et collaborer à ces projets ? Je me demande aussi s’il y aura assez de chevaliers pour se dresser devant tous les rois et les reines hystériques voulant décapiter ce qui les dérange… Est-ce que certains grands monarques de notre époque ne pourraient pas aussi se transformer en chevaliers servants ? Après tout, la fantaisie, n’a de limites que celles qu’on lui donne, n’est-ce pas ?… 😊

Alice au pays des merveilles. Illustrations de John Tenniel.

Nous en sommes donc à la fin de ce récit de chroniques et je vous remercie chaleureusement d’avoir été là, avec moi, dans cette excursion ! 😊

Puisse la solidarité défier les frontières et s’établir de plus en plus entièrement au sein de l’humanité. Puisse cela avoir lieu le plus rapidement possible, sur une planète où l’on prenne de plus en plus soin de tout ce qui existe !

 

Par-delà les frontières,

les prairies et la mer,

dans les grandes noirceurs,

sous le feu des chasseurs,

dans les mains de la mort,

il s’envole encore

plus haut, plus haut.

Le cœur est un oiseau.

Le cœur est un oiseau (Les derniers humains) Paroles : Richard Desjardins et Michel X. Côté

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Le Vaisseau dort 

En janvier 2017 débutait l’aventure de La fin des milliardaires et autres idées mijotées au fil d’une année. Une année d’écriture, une année de préparation et une année de publication ont suivi et nous voilà au début de 2020. La dernière rencontre avec Béatrice et Gabriel s’est conclue avec quelques échanges évoquant le MAPES Monde et d’autres projets élaborés en amont du récit de chroniques maintenant terminé.

Je vous propose de continuer ce petit voyage dans le temps en reculant jusqu’à l’automne 2007. C’est un manifeste poétique que j’écris à ce moment-là : Le Vaisseau dort. Il s’agit d’une alternance de poèmes et de courts textes qui interpellent directement nos hésitations vis-à-vis les grands changements écologiques et sociaux qui s’imposent à notre époque. L’ouvrage se dessine avec, en filigrane, le poème homonyme de Nelligan.

Avant d’agir, il faut au moins croire qu’améliorer le monde soit possible. Et pour croire avec conviction, je pense qu’il est essentiel de voir assez clairement les nouvelles avenues à aménager. L’opuscule, auquel je vous convie, est donc conçu comme un texte illustré continuellement par les images qui peuvent jaillir de la poésie qui l’accompagne.

Sur le mur du magasin Alice dreams à Brighton, Angleterre.

Je publierai le manifeste, tel qu’il est conçu, en 9 tranches distinctes qui comportent chacune un poème et un texte.

Esther, Lorenzo Lotto (1480-1556); marqueterie du chœur de l’église Santa Maria Maggiore, Bergame (Italie). Illustration de la couverture du manifeste poétique Le vaisseau dort.

 

Il est des poésies plus crues

Qui touchent le cœur avec la main

Pour qu’on s’entende organiquement ;

Qu’on communique, malgré les mots,

Qu’on communie, viscéralement.

Benoît Guérin, 2000.

 

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4 commentaires à propos de “Épilogue”

  1. Bonsoir Benoit. Je t’écris dans une chambre d’hôtel à East Brunswick alors que je suis en déplacement pour revenir vers notre Québec enneigé. Je te félicite pour avoir alimenté ton site ces deux dernières années. J’ai toujours apprécié lire tes articles et les commenter. Toute bonne chose a une fin; c’est inévitable. C’est également vrai pour Pierrette et moi qui avons terminé notre séjour 2020 en Floride. J’ai particulièrement apprécié le séjour 2020, car il m’a permis de lire une douzaine de volumes pour soutenir ma spiritualité chrétienne. J’ai pu aller me baigner à la mer une trentaine de fois. Nous avons reçu quatre couples amis. J’ai pu aller passer une journée à Dania Beach huit autres personnes de la famille Tanguay. Je te souhaite de vivre pleinement ta future retraite de méditation au chalet de ton ami. Je lirai avec plaisir les neuf tranches du manifeste que tu annonces. Au plaisir !

    • Bon retour au Québec, François!
      Ton séjour au sud me semble avoir été une fort belle occasion de ressourcement et d’agrément… J’en suis bien content! 🙂
      Je te remercie, une fois de plus, pour tes généreux commentaires; je les apprécie beaucoup! … … 🙂
      Au plaisir!

  2. Bonjour Benoit. Je viens de relire le dernier chapitre de « La fin des milliardaires ». Comme tu peux t’en douter, l’histoire de l’oiseau m’a beaucoup touchée. Quelle délicatesse de sentiments ! Et comme elle se place bien cette histoire à la fin de cet ouvrage. Les fins, quelles qu’elles soient, m’ont toujours attristées. Mais elles passent plus facilement avec la promesse d’un recommencement. Alors j’espère bien demeurer sur ta liste de lecteurs et lectrices fidèles. Bravo !

  3. Merci Francine. Ton commentaire me touche… J’apprécie beaucoup!
    Quant à la suite des publications, tu es bien sûr sur la liste d’envoi. Je peux d’ailleurs te dire, en primeur, que la première parution mensuelle devrait se faire demain (vendredi) en fin d’après-midi. Il s’agit du prologue au Vaisseau dort, poème et texte, comme chacune des publications mensuelles à suivre jusqu’en novembre 2020. J’enverrai probablement une invitation large (par courriel ou Facebook) la semaine prochaine, aux inscrits et non-inscrits à la liste d’envoi …
    Au plaisir et à bientôt j’espère 🙂 xoox

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