3. Le défi : faire avec


J’ai devancé l’écriture de ce chapitre. Il s’est imposé.

Faire avec les décès qui déboulent, dont celui de mon père. Faire avec les relations familiales qui se démultiplient, alors que ma mère, de plus en plus fragile, emménage en résidence pour ainés. Faire avec une longue semaine de mal de dents. Et, pour conclure, faire avec la COVID !

Le déluge. Gustave Doré, 1866.

Voilà LE défi : faire avec.

Pas juste passer à travers les situations difficiles — d’une façon ou d’une autre — toutefois, mais faire avec celles-ci de manière à préserver notre bien-être, le plus possible. Un peu comme s’il s’agissait de danser avec l’épreuve au lieu de chercher à la surmonter…

Derviches tourneurs. PhHere 2017, Creative Commons CCO.

Les difficultés et le bien-être

Évidemment, il faut d’abord qu’un certain bonheur soit notre lot quotidien. Et c’est généralement mon cas. Je me considère heureux pas mal plus souvent qu’autrement.

Le terreau de ce bonheur assez stable s’est élaboré au fil des années et je crois qu’il se compose un peu comme suit : une famille aimante et généreuse, quelques thérapies et de l’entraide, de bons amis, une vie dans un pays démocratique en paix, la méditation avec de multiples enseignements connexes et une blonde fantastique.

Le bonheur de vivre. Henri Matisse, 1905-1906.

Mais quand les situations problématiques surviennent, le défi de la continuité dans le bien-être est bien présent. Je ne parle pas ici d’un état comme on peut vivre lors d’un party bien arrosé, mais plutôt de ce qu’on peut ressentir en forêt à proximité d’une rivière, par exemple : tranquille, satisfait et… bien. Content même. Et joyeux aussi, c’est possible. Une joie tranquille et non extatique ou exubérante. La joie peut être très intense, mais lorsque les situations difficiles se pointent, celle-ci se transforme en joie tranquille et non en dépression ou en désespoir.

Tranquillité. Benoît Guérin, 2018.

Plus facile à dire qu’à faire ! J’en conviens. Et c’est pour cela que je parle d’un défi.

Relever le défi

Il y a possiblement plusieurs façons de relever ce défi fondamental qui se présente à chacun de nous, souvent sans prévenir. J’ai l’impression que certaines personnes ont cela naturel. Elles semblent transformer toutes les difficultés en opportunités. Elles se satisfont de ce qui se présente, simplement et assez aisément. Mais pour la plupart d’entre nous, c’est une autre histoire.

Nous avons tendance à glisser dans l’insatisfaction, l’impatience ou la déprime lorsque des obstacles importants se présentent. Alors, comment ne pas s’effondrer et retrouver rapidement une perspective joyeuse ou un état de contentement ?

Pour ma part, c’est le fameux « ici et maintenant » qui constitue la règle d’or. En fait, c’est plus précisément l’attention élargie à autre chose que mes pensées : les sons, les odeurs, le visuel, mes sensations physiques, etc. Respirer consciemment, bien en contact avec mon corps et l’environnement autour de moi. Et… recommencer…

Allégorie des cinq sens. Theodoor Rombouts, 1632.

Et lorsque je sens la pente glissante de l’insatisfaction et du mécontentement s’atténuer, je reviens doucement avec les activités du quotidien…

Et si la descente vers l’enfermement plaintif recommence, je reprends conscience de mon souffle, de mes sensations et de ce qui m’entoure, simplement…

Simplement, mais pas toujours facilement. On dit que pour utiliser une telle façon de faire, lors de situations très éprouvantes, il faut auparavant s’être entrainé suffisamment. Je crois que c’est assez vrai pour la plupart des gens. C’est vrai pour moi, à tout le moins.

J’ai fait quelques bonnes thérapies pour faire du grand ménage. Puis, de l’entraide pour cesser une dépendance fort nuisible. Et, enfin, j’ai passé de nombreuses minutes et même plusieurs journées à expérimenter des pratiques de l’attention. Ces pratiques étaient accompagnées de périodes d’étude du fonctionnement des émotions et des pensées. Je crois que toutes ces heures d’entrainement m’ont imprégné durablement. Elles resurgissent régulièrement, dans les moments tranquilles comme dans les passages plus agités.

La Classe de danse. Edgar Degas, 1875.

La joie au crépuscule

Dans les moments difficiles, il se produit habituellement une rupture. On ne peut pas continuer sur la même lancée. On doit s’arrêter ou du moins ralentir. La maladie, les accidents et les autres grandes problématiques sont des changements imprévisibles et abrupts. On doit cesser ce qu’on fait, puis faire avec la nouvelle situation.

Plus jeune, lorsque les situations difficiles se calmaient, je repartais assez rapidement dans la trame de vie où j’étais avant le passage problématique. Aujourd’hui — au crépuscule de ma vie —, j’ai tendance à m’attarder un peu dans les effluves de ma dernière tranche de vie… Regarder autour : la décoration, la végétation ou l’abeille qui butine ; écouter un peu : une mélodie que j’apprécie, le chant des oiseaux ou même le vent dans les arbres ; sentir les odeurs autour… ou les sensations dans mon corps et sur ma peau… Respirer consciemment… simplement…

Effluves et crépuscule. Benoît Guérin, 2017.

Écouter aussi, parfois, le reflux de mes émotions interpellées par la situation problématique. Au-delà de l’agitation ou de la colère, renouer avec la tristesse, cette émotion-fleuve qui irrigue toutes les fibres du corps et rappelle à la terre…

Les ruptures lors des situations pénibles peuvent aussi constituer un rappel éloquent de l’interruption finale qui se rapproche sans cesse. En fait, je peux même dire que le crépuscule teinte continuellement ma vie actuelle : mes contraintes physiques sont plus nombreuses, les maladies graves et les morts se multiplient autour de moi, mes objectifs sont moins ambitieux, mon rythme est plus lent. Les objets de ma satisfaction sont de plus en plus immédiats et près de moi, tout autour… …

Lorsque les difficultés surviennent, elles me déroutent moins. Elles représentent maintenant un empêchement de plus sur ma route. Une contrainte, plus imposante certes, mais moins imprévues qu’auparavant. De nombreuses pancartes appellent déjà à ralentir sur mon chemin de tous les jours, alors lorsque se présente un panneau « arrêt », je suis en pays de connaissance.

Ça ne fait pas en sorte que tout se passe alors calmement. Loin de là parfois ! Mais j’ai moins l’impression d’événements exceptionnels. Il me semble y avoir une familiarité entre le crépuscule et les grandes difficultés. Il y a une plus grande continuité dans ma vie, une certaine homogénéité, peu importe les événements. Et c’est plutôt agréable…

Allée de mâts totémiques à Sitka. Emily Carr, 1907.
À venir dans la prochaine publication :
Volatiles, quadrupèdes et amour
  • Moineaux enchanteurs
  • Écureuils gris, en ville et en demi-teinte
  • Écureuils roux en forêt
  • Tamias et ribambelle animalière

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6 commentaires à propos de “3. Le défi : faire avec”

  1. Merci Benoit pour ces rappels du comment agir dans les grandes difficultés. Danser avec l’épreuve plutôt que de vouloir la surmonter… la pleine conscience si facile à perdre, surtout devant l’inéluctable. Je suis proche-aidante pour ma sœur qui a eu 90 ans le 29 juin. Elle est hospitalisée depuis le 1er août et je tente de l’accompagner du mieux que je peux vers sa fin. Pas facile parce que je vois le lien qui se fragilise… ne pas se sentir coupable surtout, voilà bien le pire pour moi. Ce chapitre s’est imposé pour toi et je l’ai lu dès sa réception. Comme s’il y avait urgence. Voilà bien le paradoxe : il y a urgence de vivre avant de mourir. Encore merci pour ton aide.

    • Merci Francine de prendre le temps d’écrire. C’est un réel plaisir de te lire! 🙂
      Ta situation de proche-aidante fait parfaitement écho à ce que je vis avec ma mère. Le lien avec elle se fragilise aussi. Sa santé physique et ses facultés cognitives diminuent à vue d’œil et cela rend très ténus nos échanges…
      Pas facile… essentiel et fondamental, mais… pas évident à chaque instant…
      Au plaisir et à bientôt j’espère!
      XOOX

  2. Salut mon ami,

    En lisant (et relisant avec plaisir) ton texte, je me suis dit que ceux qui ont connu des épreuves au cours de leur vie, et qui ont su les surmonter et en tirer des enseignements plutôt que de les fuir, ne peuvent que rendre grâce à la vie pour son intelligence. Il ne s’agit pas pour moi de glorifier la souffrance, seulement de constater que la personne (plus) sereine que je suis aujourd’hui, est le fruit des apprentissages, parfois difficiles, que j’ai accepté de faire.

    Merci Benoit!

    Yvon

    • Merci pour les bons mots et le commentaire bien fignolé Yvon! Ton propos m’est familier et je crois que de très nombreuses personnes marchent en effet dans des chemins semblables avant d’aboutir dans des jours plus sereins…
      Au plaisir et à bientôt mon ami!

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