39. Organismes communautaires et posture mondiale


Hier, je dînais avec mon amie Manon, dans le patelin où j’enseignais précédemment. Manon travaille dans le domaine communautaire. Je l’ai connue en collaborant à diverses activités pour mes élèves d’alors. À ce moment-là, je donnais un cours nommé Préparation au marché de travail et elle travaillait dans un organisme d’aide à l’emploi pour les jeunes. La connivence a été instantanée et elle est toujours bien vivante ! 😊

La vie dans les organismes communautaires

Aujourd’hui, Manon dirige un organisme venant en aide aux familles dans le besoin : répit, échanges, entraide, etc. Comme de nombreux intervenants du milieu communautaire, elle travaille avec beaucoup de cœur ! Elle aime venir en aide aux autres et elle prend soin, le plus possible, des employés de l’organisme, dont elle se sent souvent très proche. En général, les salaires du domaine communautaire sont à la limite de la décence et ils sont très en deçà de ceux du gouvernement ou du secteur privé. Ces emplois communautaires sont aussi très souvent précaires, à la merci des subventions qui varient beaucoup, mais le climat et l’organisation du travail sont, fréquemment, beaucoup plus agréables dans ces milieux.

Jour de Noël à la cantine du YMCA de London Bridge. Clare Atwook, 1920.

Il me semble que les préoccupations humaines et écologiques sont passablement plus présentes dans les organismes à but non lucratif (OBNL) et dans le milieu communautaire en particulier. Comme ces organisations ne visent pas à maximiser à tout prix les profits (comme le privé) ou l’efficience (comme le gouvernemental), elles peuvent donc aménager plus aisément cette dimension fondamentale de la vie en milieu de travail (comme ailleurs !) qui consiste à prendre soin du monde.

Les objectifs d’efficience ou de profitabilité sont parfois importants, mais lorsque leurs débordements piétinent les plus fondamentaux des instincts de vie ou de survie, ils ne deviennent alors rien de moins que nuisibles ! ☹

En personne 

Ça faisait autour d’un an que je n’avais pas vu Manon. On reste en contact et on échange parfois virtuellement, mais en personne… ce n’est pas pareil. Il y a quelque chose de plus entier ou plus viscéral. Peut-être est-ce le langage non verbal (le regard, les gestes, etc.) qui, en prenant place dans les échanges, amène souvent les rencontres là où elles n’auraient pu aller sur les ailes d’échanges virtuels… Peut-être aussi y a-t-il quelque chose qui jaillit du simple fait d’octroyer plus de temps et d’énergie à la préparation physique et aux déplacements qui mènent à de telles rencontres…

Actions et projets globaux

Quoi qu’il en soit, le dîner d’hier a été non seulement très agréable, mais aussi inspirant. Il a laissé des traces. Entre autres à un moment donné, Manon a relancé la discussion en disant : « Puis, le MAPES Monde ?… » Et comme j’hésitais à répondre, elle a enchainé : « Tu m’avais dit, l’an passé, qu’à ton arrivée à la retraite que tu pourrais enfin renouer avec ce projet… »

Manon a suivi et participé aux premiers moments du MAPES Monde. Elle était parmi celles et ceux qui ont soutenu le plus assidument les finalités de ce projet et mes démarches. Alors, je lui ai raconté les premiers mois de ma retraite où j’en profitais pour ralentir tout en aménageant le nouveau contexte financier de ma situation. Puis, quelque part à l’hiver passé, j’ai rencontré Béatrice et son projet. J’ai alors fait une plus longue retraite de méditation et pendant celle-ci, il m’a semblé évident qu’une collaboration au projet La fin des milliardaires, et l’écriture parallèle des développements associés, étaient en continuité avec le MAPES Monde : la marche vers une humanité unifiée (le Mouvement) dans une perspective de solidarité (l’Amour et la Paix) et d’écologie (l’Environnement Sain).

mapesmonde.org

Posture tournée vers le vaste monde

Ce tournant de nos échanges m’a ramené de plein fouet dans la posture que j’ai actuellement et depuis les quelques années précédant ma retraite de l’enseignement. Une posture tournée vers le monde. Vers le monde entier, plus précisément. La situation du monde était au cœur de mes préoccupations d’enseignant d’éthique, bien sûr, mais mon regard était alors dirigé surtout vers mes élèves et mes classes. Emploi oblige !

On dit parfois qu’enseigner c’est comme semer des graines à l’intérieur de nos élèves et, qu’un jour, peut-être, elles viennent à changer le paysage. Toutefois, je crois qu’avec la multitude de graines, parfois contradictoires, semées dans chaque personne, bien malin celui qui pourrait prévoir l’allure de la forêt à venir ! De plus, il ne faut pas sous-estimer la force envahissante des herbes sauvages issues de nos instincts les plus bêtes… Certaines actions politiques ou médiatiques peuvent, quant à elles, contribuer à des améliorations sociales et écologiques beaucoup plus rapides. Je sais, ce n’est souvent pas le cas, mais il y a là une avenue potentiellement fertile, à tout le moins. Et c’est cette avenue qui m’interpellait de plus en plus lors de mes dernières années d’enseignement.

Les enfants amours conduisent le monde. Auguste Rodin, 1908.

Constats temporels

Deux grands constats temporels ont aussi contribué à tourner ma posture frontalement vers le vaste monde et ses besoins. Premièrement, au rythme où les problématiques humaines et environnementales se détériorent, une multitude d’êtres vivants ne goûteront jamais aux éventuels fruits des améliorations : misère structurelle, extinction des espèces, victimes de guerres prolongées, esclaves industriels, etc. Deuxièmement, ma vie à moi, comme celle de chacun de nous, s’égrène inéluctablement et le temps où je peux agir pour améliorer le monde diminue chaque jour…

Constat temporel. Photo : Benoît Guérin, 2008.

Agir à la hauteur de la situation

D’ailleurs, plusieurs de ces constats m’habitent depuis longtemps. J’avais à peine une trentaine d’années lorsqu’un fort sentiment d’urgence d’aider s’imposa en moi. En m’informant et en donnant un peu à différents organismes, j’ai contemplé la misère tapissée un peu partout dans le monde, dans les bidonvilles comme dans les arrière-cours des plus grands palais et même dans les rues que j’empruntais. En analysant la situation des humains dans le monde, j’estimais l’espérance de vie moyenne quelque part entre 40 et 45 années — maximum ! Plusieurs pays d’Afrique affichent encore une espérance de vie officielle de plus ou moins 50 années. J’étais convaincu que profiter de la vie, au-delà de ces âges-là, constituait un non-sens ou même une lâcheté. À cette époque, j’allais jusqu’à dire qu’il valait mieux donner ma vie pour marquer ma dissidence devant les inégalités (et le saccage de la nature) que de poursuivre indûment cette vie de privilégié.

Afrique noire. Louis Bouquet, 1931.

En jonglant avec cette idée, j’ai ensuite constaté qu’un tel suicide idéologique aurait sans doute bien peu de portée dans notre monde où les gestes d’éclats courent les rues. Certaines personnes vont jusqu’à s’immoler sur la place publique pour alarmer l’opinion publique et cela entraine habituellement bien peu d’appui à leur cause, si ce n’est un certain recul. Je crois que certains grands changements peuvent effectivement être attisés par le vent occasionné par de soudaines disparitions, mais il s’agit alors de personnes ayant déjà grandement influencé le monde. Et il s’agit généralement de personnes tuées (assassinées ou tuées à la guerre) et non suicidées. Fin de cette piste d’action.

J’ai ensuite envisagé d’autres gestes d’éclat moins drastiques, afin d’attirer l’attention du monde sur nos errances flagrantes, mais la conclusion fut très semblable : mon chemin doit nécessairement se tracer quelque part dans la montagne et non à partir du sommet, en sautant ! Rien ne m’empêche d’essayer de mettre en place des échelles, comme dans le jeu de serpents et d’échelles, qui puissent permettre des avancées sociales et écologiques plus rapides, mais je crois bien qu’elles doivent d’abord être bien posées quelque part au sol.

C’est justement une échelle semblable que j’ai reconnue dans le projet osé de La fin des milliardaires. Un projet plaçant les plus hauts barreaux de son échelle quelque part tout en haut du jeu, là où les fleurs parfument le paysage et où personne n’est laissé pour compte… 😊

Ci-dessous : Parfum de fleurs. Photos : Benoît Guérin, 2017. 

Du MAPES Monde à La fin des milliardaires : souvenirs et considérations

Le MAPES Monde est aussi constitué comme une échelle pour grimper plus rapidement au pays des merveilles où l’on prend soin de tout ce qui existe. Tout comme le projet de Béatrice, il vise des avancées audacieuses, tout en douceur. Il s’agit toutefois d’un véhicule de changement beaucoup plus léger. Un projet médiatique multiplateforme comme celui de La fin des milliardaires nécessite une infrastructure complexe : montage financier, grande équipe de travail, coordination des multiples dimensions du projet, etc. Quant au MAPES Monde, ce mouvement n’est constitué que d’un véhicule à sa plus simple expression : quelques textes fondamentaux, un site internet de fondation et un drapeau. Comme ce véhicule est virtuel et en libre-service, il pourrait être utilisé par une multitude de gens en même temps. Chacun à sa façon. Tous les développements sont permis et même souhaités. Et si les actions des gens se déploient au diapason des mêmes valeurs de base (paix, environnement sain et amour), elles peuvent former ainsi un large organisme, dont les formes se dessinent de manière spontanée…

La candeur de Manon à me rappeler l’existence du MAPES Monde a révélé en moi un positionnement ambivalent. Je n’ai pas travaillé à ce projet depuis fort longtemps et il me semble appartenir à l’histoire, d’une part. Mais d’autre part, je le ressens comme très actuel ou d’une pertinence encore très plausible. Et entre les deux points de vue, il y a une petite torpeur, une hésitation ou un questionnement : dois-je y revenir ? Y a-t-il là une piste inachevée à raviver ?…

Alice au pays des merveilles. Illustration Dawn Hudson.

Ma discussion avec Gabriel au parc, à l’automne passé, me revient à l’esprit. Il m’avait asticoté gentiment concernant le MAPES Monde, vous vous souvenez ?…

Je me rappelle… il y a plus de 10 ans maintenant, j’ai écrit un Appel aux citoyens du monde, un manifeste poétique nommé Le vaisseau dort. Cet ouvrage a été écrit dans la réverbération d’un poème d’Émile Nelligan et il visait à relancer le mouvement du MAPES Monde. C’est de ce manuscrit qu’une journaliste avait fait état dans son journal, après une entrevue qui avait mené à d’importants changements dans la présentation du MAPES Monde : simplification du Manuel de fondation qui explique le mouvement de 46 pages en un Guide de présentation de 24 pages, diminution des couleurs représentant les dimensions fondamentales du mouvement sur le drapeau et refonte du site internet dans un système de gestion de contenu (CMS) open-source. Dans le contexte surchargé de mes dernières années d’enseignement, je n’ai pas cherché à rendre le manifeste public, mais… est-ce que cela pourrait être pertinent maintenant ?…

Quant au site internet, mon ami, récemment décédé, avait principalement travaillé à la transformation, mais je n’ai malheureusement pas eu le temps de collaborer avec lui autant que j’aurais voulu. Aujourd’hui, j’en possède bien peu les tenants et aboutissants. Au fil des années, j’ai toujours renouvelé l’hébergement du site (mapesmonde.org) tout comme le nom de domaine, mais certaines fonctionnalités sont défaillantes et d’autres, probablement désuètes. Toutefois, j’estime que l’état actuel du site permet amplement d’avoir accès aux éléments fondamentaux. Si un courant d’intérêt plus vaste se manifeste éventuellement, peut-être inclura-t-il quelques personnes avec des atomes crochus plus nombreux que les miens pour peaufiner un site internet. Je passerais alors volontiers les quelques clés de fonctionnement que je préserve dans cette éventualité… 😊

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6 commentaires à propos de “39. Organismes communautaires et posture mondiale”

  1. Benoit , tu as vraiment une belle plume……. pleine d’empathie…… une conscience de ce qui se passe ici et plus loin…… et une réflexion sur maintenant et les suggestions pour demain…..🌈🌈🌈

  2. Bonjour Benoît, Je viens te donner quelques nouvelles du local Fougère, un local loué par le Centre Le Rocher où je suis vice-président sur le conseil d’administration depuis septembre dernier, après avoir été président pendant plus de six ans. Le local Fougère a connu une phase deux à l’automne 2019 avec les anges gardiens (personnes retraitées) qui lui ont apporté leur contribution en temps et en énergie. Après une évaluation de cette deuxième phase, le conseil d’administration a convenu de lancer la phase trois qui vise à rendre le local disponible à faible coût aux jeunes travailleurs et aux groupes communautaires qui ont souvent besoin d’un local plus spacieux pour certaines de leurs activités. Ces groupes communautaires sont nombreux au centre-ville de Saint-Jérôme. Les membres du Centre Le Rocher se rendent disponibles sur demande pour faciliter l’ouverture du local. de façon responsable. C’est manière que le Centre Le Rocher privilégie actuellement pour se rendre présent au cœur de la cité et au cœur de ses enjeux humains les plus authentiques. Au plaisir !

    • Salut François,
      J’espère que tu vas bien…
      C’est une belle initiative que de rendre un beau grand local disponible à faible coût pour les organismes communautaires et les jeunes travailleurs. Bravo! 🙂
      Est-ce qu’il s’agit du même local que Fougère – Café des possibles? Si oui, je suppose que vous voulez maximiser l’utilisation du lieu lorsque le Café est inactif et… sinon, qu’en est-il?
      En passant, j’aime mieux le nouveau nom du Café que l’ancien! 🙂 et je croyais que ce changement reflétait une belle vivacité dans les activités du Café. Est-ce bien le cas?
      Au plaisir!

  3. Allo Benoit.

    J’ai lu ton texte avec plaisir et la discussion que nous avions eu m’est revenue clairement en mémoire. Nos discussions me manquent, vivement un autre dîner afin de continuer nos échanges 🙂

    À bientôt.

    • Allô Manon,
      Je suis bien d’accord avec toi, on regarde nos agendas et on s’envoie des dates pour fixer un prochain dîner à Saint-Jérôme…
      Au plaisir et à bientôt j’espère! 🙂

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