20. Brèves retrouvailles


Le printemps tarde à donner sa pleine mesure. Tout est au ralenti. C’est une longue période de latence où la pluie et la fraîcheur trônent. Les journées plus chaudes et ensoleillées sont rares. Le règne de mon rhododendron aux énormes grappes de fleurs violacées achève tandis que sa voisine azalée, dans ses robes roses qu’elle déploie au fil des jours, embaume avec l’exubérance prononcée des parfums de grandes soirées.

Exubérance printanière. Photo : Benoît Guérin, 2018.

Ces derniers jours, les nouvelles tiges de ma vigne, à l’arrière de la maison, ont surgi en mille trompettes qui s’allongent à vue d’œil ! Tant mieux, car je quitte pour le voyage dans moins d’une semaine et j’espère bien pouvoir la tailler avant que ses vrilles ne colonisent anarchiquement la treille qui monte jusqu’à notre balcon au deuxième étage. Juste à penser aux raisins savoureux, sucrés et sans pépins qui émergent en grappes bleues, à l’automne… je souris. 😊

J’ai écrit à Béatrice pour confirmer notre rendez-vous de cet après-midi. Dans son message de réponse, j’ai décelé la même posture un peu surchargée qui est la mienne ces jours-ci ! Notre rencontre aura peut-être des allures de parenthèse de début d’été, avant la reprise de nos « travaux » quelque part aux portes de l’automne…

Assis au café, un peu d’avance comme c’est souvent le cas, j’attends Béatrice. Je regarde dehors… le temps est couvert. Un orage vient tout juste de passer et le soleil perce parfois les nuages. Les gens vont et viennent sur les trottoirs. Je laisse mon regard se poser au gré des événements devant moi. J’apprécie ces instants paisibles au milieu de cette période très dense de préparatifs de voyage…

Béatrice fait son entrée dans le café. Sourire aux lèvres, les yeux pétillants, doucement, il me semble. S’agit-il là de la réalité ou de ma projection d’état d’esprit ? « Salut ! Comment ça va ? » me demande Béatrice. Je réponds brièvement et nous échangeons sur les événements qui ont peuplé les dernières semaines de nos vies. Un survol de ses activités à elle là-bas, dans les pays nordiques, en alternance avec mes activités à moi, ici. Les moments forts, les états d’esprit, les surprises agréables et les déceptions…

Puis, un « ouf ! », de part et d’autre. Un sourire partagé et un moment de silence. Nos situations actuelles, un peu surchargées, se dessinent avec évidence. Elle, affairée à revenir aux activités régulières du boulot tout en rapaillant, autant que possible, le bagage étoffé accumulé dans les dernières semaines en pays scandinaves. Et moi, attachant à vive allure la multitude de fils reliés à l’aménagement du voyage comme à celui de la vie ici, où des amis occuperont notre logement – où de nombreuses plantes demanderont à boire régulièrement ! Béatrice se dirige au comptoir pour commander son latté et j’en profite pour regarder autour nous. Cinq ou six personnes sont affairées à leurs ordinateurs, un couple discute et quelques personnes lisent un journal ou un livre…

Graduellement, notre table de travail commune refait surface : l’émission La fin des milliardaires et le projet d’une humanité unifiée, solidaire et écologique. Je demande à Béatrice : « Ces pays nordiques sont-ils aussi extraordinaires qu’on le dit ? Est-ce un exemple de vie solidaire et écologique inspirant ? »

Le Valhalla. Emil Doepler, 1905.

L’intérêt scandinave se confirme

« C’est la nette impression que me laisse mon voyage, dit-elle. Je n’ai pas fait une exploration en profondeur, mais certains intervenants de ces pays seraient très inspirants et utiles à l’intérieur du projet de La fin des milliardaires. Les façons de vivre que j’ai côtoyées m’ont effectivement paru nettement plus solidaires et écologiques que chez nous. Pour l’émission, la langue de communication constituera un défi et probablement des coûts d’interprétation importants, mais je crois que le jeu en vaut la chandelle. J’aimerais bien qu’un sociologue ou une anthropologue nordique puisse éclairer les sources ou la provenance de telles façons de vivre, si rarissimes à l’échelle mondiale. Pour expliquer quel genre d’organisation sociale donne vie à des valeurs et des comportements si différents de la plupart des endroits dans le monde… »

Béatrice me relate les rencontres et discussions qu’elle a eues pendant son voyage. Au-delà de la langue, qui procède évidemment de l’ailleurs, la vie là-bas semble dévoiler un monde très différent du nôtre… Alice me revient une fois de plus à la mémoire, elle qui s’était retrouvée au pays des merveilles, un endroit tellement différent, et pourtant bel et bien vivant. En tout cas, les pays nordiques dont me parle Béatrice sont probablement moins merveilleux que le monde parcouru par Alice, mais… ils existent en dehors du terrier du lapin, au-delà de la fiction, dans notre monde à nous ! 😊

En complément : S’inspirer du modèle scandinave – conférence (57:04)

Alice au pays des merveilles. Illustration John Tenniel.

« Et toi, me lance soudain Béatrice, où en es-tu avec tes réflexions autour du projet d’émission ? »

Humanité unifiée : considérations partagées et conviction persistante

« De mon côté, ce sont les réflexions autour de l’humanité unifiée qui ont le plus voyagé ! » lui dis-je. Je lui précise les idées approfondies à travers mes incursions politiques : la complexité des structures, l’efficacité de certaines façons de faire, l’engouement constaté chez le groupe de militants que j’avais côtoyé, etc. Puis, les discussions avec Dorothée où est ressorti le scepticisme prévisible concernant les possibilités d’association à l’échelle de la planète. J’ajoute qu’une démarche plus exploratoire qu’exécutive a semblé plus réaliste, voire potentiellement intéressante, aux yeux de Dorothée.

Après quelques échanges autour des sujets soulevés, le silence reprend sa place. Notre rencontre se déroule à un rythme moins endiablé que les précédentes. C’est agréable, comme un intervalle de détente où l’on retrouve le souffle paisible de la forêt, en fin de journée…

J’enchaine doucement : « C’est drôle comment ma récente incursion politique m’a dévoilé des paysages contrastés. J’ai eu parfois l’impression que peu de gens adhéraient clairement à un projet de société ou d’humanité solidaire et écologique. À d’autres moments par contre, j’ai été très touché par le contact avec des gens profondément engagés dans une coopération sociale aux échos de fraternité ou dans l’édification d’un monde en harmonie avec la nature.

Je réfléchis un moment, puis j’enchaine : « Avec la constance des jours qui passent, je suis habité par cette conviction qu’une humanité solidaire et respectueuse de la nature pourrait décupler le bonheur chez les humains. Et occasionner moins de malheurs. Moins de blessures de guerres et de toutes les agressions ayant lieu lorsque notre lien aux autres est rompu. Plus d’air pur et d’eau claire au lieu de s’intoxiquer avec notre pollution ou de subir les foudres d’un climat que l’on dérègle dans la même foulée. Parfois, j’ai l’impression d’être un peu comme Alice qui trouvait refuge au pays des merveilles, sauf que pour moi, le terrier du lapin c’est mon imagination : elle garde bien vivantes les images d’un monde plus harmonieux et les associe aux sensations plaisantes de mes relations actuelles avec la nature et les autres humains… Bon, j’ai l’impression que les vacances et le voyage sont plus proches que je ne le croyais ! » dis-je en constatant la tournure fantaisiste de mon propos.

D’où Venons-nous? Que Sommes-nous? Où Allons-nous? Paul Gauguin, 1897.

« Ne t’en fais pas, me dit Béatrice, je me sens tellement comme ça moi aussi ! J’ai envie de juste me laisser flotter, de me reposer. Fermer la porte des dix mille travaux en cours et ouvrir celle de la poésie ou de l’imagination, simplement. On est plusieurs à rêver de mettre en chantier une humanité réconciliée et amoureuse de la nature sous toutes ses formes, où la richesse se cultive comme un bon jardin, sans excès, avec amour et sagesse… Tu vois, le projet de La fin des milliardaires prend place tranquillement et je compte bien persister, peu importe le temps que ça prendra pour le mettre au monde ! Comment travailler concrètement à transformer l’humanité en quelque chose de plus viable et de durable ? J’ai l’impression qu’une petite pause d’été ne peut que faire du bien à nos travaux. Un peu comme on laisse la terre tranquille avant de ressemer en son sein… »

Adam et Ève au Paradis Terrestre. Wenzel Peter, 1800.

Soudain, c’est comme si nous nous réveillions tous les deux assis dans le café, émergeant du léger brouillard de travail. Les couleurs, les textures, les odeurs et les sons se précisent, nous reprenons contact avec l’endroit. Plus détendus, et un peu plus éveillés, on aurait dit… Nous échangeons sur les festivals d’été qui approchent, les projets de vacances, le jardinage et toutes les activités de détente estivales. Que du bonheur ! 😊

Les retrouvailles ont eu lieu, comme une intersection qui permet aux routes de se croiser et aux saveurs de conserver leur proximité. Nous nous sommes donné rendez-vous dans un mois et demi, quelque part autour de la rentrée automnale.

Départ pour le voyage et compensation des GES émis en avion

Je suis au matin du départ pour le voyage. À notre époque, les voyages sont sûrement l’une des activités les plus prisées de la plupart des gens (parmi la minorité favorisée, bien sûr). Ce n’est pas mon cas. Je suis content de partir en voyage avec ma blonde et d’aller découvrir d’autres coins du monde avec elle, mais pas excité. Je dirais même que certains aspects comme les bagages et les restrictions douanières m’énervent plutôt…

Par le hublot. Photo : Benoît Guérin, 2018.

Nous avons acheté auprès d’un organisme reconnu des crédits compensatoires pour les émissions de gaz à effet de serre (GES) qu’émettront les avions que nous prendrons. L’organisme évalue la portion des émissions de GES dont nous sommes responsables en tenant compte de la durée des vols et ils suggèrent un montant compensatoire à verser. Ils réinvestissent ensuite l’argent recueilli dans des projets qui diminuent les GES : plantation d’arbres, projet éolien, etc. Cette démarche me paraît essentielle, car les avions émettent beaucoup de GES et seule une minorité de gens très choyés (comme moi !) ont accès aux voyages en avion.

Souvenir de voyage. Photo : Benoît Guérin, 2015.

Chapitre suivant (Fin des milliardaires seulement; 15 chapitres)  →

Chapitre suivant (incluant les autres idées mijotées; 42 chapitres)  →

Chapitre précédent


2 commentaires à propos de “20. Brèves retrouvailles”

  1. Bonjour Benoît. Je suis présentement à Québec avec Pierrette. Cette dernière a une rencontre avec l’AREQ. Lors de l’Inforetraite lundi dernier, j ai rencontré Sylvain Lauzon. Ce dernier a décidé de prendre sa retraite plus tôt, car ses conditions de travail se sont grandement détériorées. Il déménage à Sherbrooke où sont rendus ses trois garçons. J ai beaucoup apprécié le revoir et échanger avec lui. Au plaisir !

  2. Salut François,
    Je vous souhaite, à Pierrette et à toi, un beau séjour à Québec. J’espère que vous aurez l’occasion de déambuler un peu dans cette belle ville que nous apprécions aussi beaucoup! 🙂
    Au plaisir!

Répondre à François Tanguay Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*